Il était midi, peut-être plus, sous la Zinella et sous le rosé bien frais. Un apéro à vous faire oublier le temps ou confondre les moitiés d’heures, les quarts d’heures.
Les minutes et les secondes oubliées, ce sont les visages, les sourires, les éclats de voix, les gestes expressifs qui prennent le relais.
Parfois de longs silences parlants.
Les silences bavards, tapageurs, bien plus que les éclats de mots. Ces silences où se niche la vie, la vie secrète et diserte à la fois. Chacun voyage dans son univers, chacun imagine, chacun s’évade, on ne devrait rien savoir et on comprend tout…
C’était un instant de bout de souffle, chacun faisait une pause ou creusait une idée à venir, dans ce silence des mots, j’ai entendu les martinets qui sillonnaient le ciel.
Connaissent-ils le sens de leurs zigzags arrondis ? Savent-ils pourquoi ces courbes brisées ?
Ils s’en fichent, tant qu’il y a de l’espace, il leur appartient. Ils signent des arabesques folles, montent, descendent, filent tout droit.
Croyez-vous qu’ils calculent ?
Pensez-vous leurs chemins moins importants que leurs cris joyeux ?
I striona dit-on en Corse, un nom qui leur sied à ravir. Ecoutez ce mot et vous comprendrez.
Des trilles stridents qui expriment la joie de fendre l’air comme un enfant qui dévale une pente, bras ouverts à l’aventure et criant son émotion à sauter dans le vide.
Des trilles aigus inlassablement reproduits chaque fois qu’ils plongent puis s’élèvent dans l’air redevenu chaud à l’approche de l’été…
L’ami Yvon avait entendu mon appel à se revoir encore une fois. Il était aux anges, de retour sur ses terres. Il n’est pas d’ici mais il est ici comme chez lui, il se dit de chez nous et veut revenir une dernière fois. Après il sera trop tard, c’est son cri d’oiseau migrateur qui sait son dernier voyage lorsque les ans vous commandent de ne plus migrer.
Il fallait le voir parcourir le chemin, refaire les pas de naguère, il s’arrêtait un instant et semblait interroger un buisson.
– Tu étais déjà là toi quand je suis venu la dernière fois ?
Il souriait, baissait la tête, se frottait le visage, j’ignorais ce qu’il pensait mais je le sentais heureux dans son silence, vague et perdu dans ses pensées.
Il faisait le plein d’images, de sensations d’hier qu’il retrouvait ce jour. Je le taquinais, un peu, il riait, il se souvenait, il me retrouvait tel qu’il m’a toujours connu. Je le regardais, j’étais heureux aussi, nos jours s’étaient retrouvés, toujours les mêmes, non pas dans la routine mais dans la sincérité, dans le plaisir de converser et d’être encore ensemble.
Savez-vous ?
Il insiste aujourd’hui, il me dit qu’il va revenir…
J’imagine les martinets. Ils sont libres. On dirait qu’ils n’ont rien d’autre à faire que voler et crier. Des joyeux drilles qui ont bien du courage de revenir encore par ici. Où nichent-ils ? Les toits ne sont plus accueillants, les tuiles romaines qui leur offraient un refuge sous la courbure de leur façon, ont disparu. C’est le règne des Redland, les toits n’ont plus de tuiles voutées au-dessus des gouttières, les trous calfeutrés et les murs crépis ne laissent le moindre abri en hauteur.
Qui est conscient de ce changement qui refuse l’habitat aux martinets ?
On ne construit plus de maisons pour ces oiseaux mais ils reviennent inlassablement, il reste encore de vieilles bâtisses accueillantes.
Je m’en souviens.
Il était vingt et une heure, j’arrosais le jardin. Le ciel était pur. La lune était pleine.
La voute céleste semblait endormie et déserte. Les chauves-souris prenaient le relais en un vol chaloupé dessinant des arabesques plus folles encore mais silencieuses.
Un vol imprévisible.
Elles ne voyagent pas mais patrouillent au-dessus du bassin, de la maison, sans doute en chasse au moustique, au papillon noctambule qui cherche la lumière surgie de la Zinella.
Les martinets s’étaient tus.
Ils sillonnaient le ciel, les ailes en faucilles, le vol rapide, tourbillonnant, ascendant et chutant soudain. Libres, ils signaient l’air qu’ils traversaient sans cesse…
La nuit commençait à tomber, le silence envahissait le jardin.
Je levai encore une fois les yeux vers la lune :
Où vont ces jours et ces nuits ?
A quoi riment ces cris qui habitent le calme de cet endroit isolé ?
Est-ce la vie qui claironne sa fuite ?
Est-ce le temps qui prévient ? Qui siffle avec le vent ?
Est-ce l’intemporel qui met en garde contre le fragile éphémère de nos existences ?
Bientôt, ce sera le tour des grenouilles, des grillons, le concert va commencer.
Le hibou partira en chasse, les campagnols et les mulots sortiront à la nuit tombée, le hérisson et la tortue, en tournée nocturne, visiteront le jardin.
Il fera nuit, il fera chaud, il fera beau.
Et puis…
Tiens ! Il bouboule, il ulule, il tutube, il miaule, il froue… Le hibou gonfle son plumage, majestueux, le bec haut, les yeux comme des phares allumés scrutent les environs, il est le chef d’orchestre de la nuit…
Nous sommes heureux, allez savoir pourquoi ! Ça se lit sur nos visages.
Bientôt Yvon va revenir, il piaffe d’impatience, il attend, il l’a promis.
N’oubliez pas le temps qui passe.
Très beau texte poétique, la rêverie d’un homme heureux… 🙂
🙂