Conversation.

Almanito va bien rigoler, elle n’en rate pas une.
Elle doit rire sous cape : « Je le savais qu’il ne tiendrait pas un seul jour sans écrire un mot à ses amis Pierrot… Il en est incapable, c’est son oxygène, souhaitez-vous qu’il suffoque ! »
Al, comme je la nomme désormais, a sans doute raison, sans avoir pipé mot, je la soupçonne de penser ainsi 😉

Ce n’est pas parce que je suis « interdit » d’images qu’on ne va plus converser.
Je suis passé ce soir pour vous raconter une petite histoire qui m’a traversé l’esprit cet après-midi, alors que j’étais en vadrouille.

Je me suis souvenu d’un jour d’inspection.
Une inspectrice était passée vérifier si j’étais bien opérationnel et s’était assise au fond de la salle pour se faire discrète.

C’était l’heure d’un jeune garçon de 8 ans.
Un enfant bien portant puisque bien nourri, tranquille comme baptiste et surtout d’une inertie peu commune. Son institutrice m’avait appelé au secours « Il ne fait rien du tout en classe et refuse même d’apprendre à lire ».
Il se la coulait douce, j’avais donc pour mission de trouver un moyen pour l’embarquer dans l’apprentissage de la lecture.
Dès le premier entretien, il me regardait en diagonale, j’avais deviné à son sourire malicieux qu’il m’adressait un défi codé, tout en silence :
« Celui qui va m’embarquer dans la lecture n’est pas encore né. »
Je n’étais pas bien vieux mais j’avais relevé son défi tacite.

Durant deux séances, je lui fis un cinéma pas possible. Je lui présentais les images d’une historiette en les commentant. Je répétais mot pour mot le petit texte de deux ou trois lignes inscrites juste sous chaque image. Il ne se doutait de rien.
Après deux séances, j’avais bien imprimé les mots exacts et la musique des phrases, dans sa mémoire.
Le troisième jour, je lui fis le coup du père François. Avec étonnement et l’air très intrigué, je lui dis : « Je parie que tu sais lire ! »
Il me regarda d’un air surpris « Je suis tombé sur un fou ! » semblait-il penser.
Sans attendre davantage, je lui présente la première image et plaçant mon index sur le premier mot, je l’invite à lire : « Allez vas-y suis mon doigt. »
Et voilà qu’il se met à lire les deux petites phrases qu’il avait bien mémorisées. J’avais bien préparé mon coup.
« Voilà, c’est parfait, tu vois, j’avais raison ! »
A son regard dubitatif, j’ai cru qu’il allait se tamponner le pariétal avec le doigt :
« Il est vraiment timbré celui-là ! »
Non, non, il ne fit rien de cela et sembla très étonné. Comme un hibou qui s’intéresse, il hocha la tête à gauche puis à droite et me prit pour un magicien…
C’est ainsi que je « l’ai eu », il était prêt à me suivre dans l’aventure.

Le jour de l’inspection, nous avions déjà bien avancé, j’avais démantelé le petit livre et éparpillé toutes les pages en l’invitant à retrouver le cours de l’histoire en s’appuyant sur la chronologie des images, ce qu’il réussit fort bien. Ce n’était pas gagné d’avance avec lui. Il commençait à s’intéresser et donc, les notions de temps et d’espace qui lui faisaient défaut jusque là se mettaient en place. Une fois le livre reconstitué, il se mit à lire, j’en profitais pour l’arrêter sur des syllabes pour identifier les phonèmes, je l’invitais à m’expliquer un peu le mécanisme, il se structurait.

Tout semblait couler sauf lorsqu’il achoppait sur des lacunes de vocabulaire très élémentaire. Il confondait « tirer à soi » avec « pousser » et j’eus un mal fou à inverser sa confusion. Après avoir tout tenté avec mon classeur posé sur sa table, sans succès, j’avais sorti un aspirateur d’un placard et me voilà en train de tirer et de pousser, il m’imitait, je l’encourageais, il était aux anges dans le rôle du technicien de surface. A force de jeu, il parvint à rétablir le vocabulaire dans sa légitimité. Je l’ai prévenu qu’on vérifierait à plusieurs reprises les prochaines fois, on n’est jamais sûr que c’est acquis du premier coup … Bref, ce fut très laborieux.

L’histoire s’achevait, nous étions en fin de séance, les deux enfants de l’histoire glissaient sur une luge et arrivaient en bas d’une pente. La fillette s’adressait à son camarade en disant :
« Allez, on recommence ? »

A ce moment précis, je fis un clin d’œil à l’inspectrice – rien d’irrespectueux, je la connaissais – en demandant au petit garçon :
« Allez, on recommence ? »
Dans une joie toute juvénile et très jubilatoire, il n’hésita pas une seconde et me répondit avec empressement :
« Oui, oui, on recommence ! »

Levant les bras au ciel, je m’écriai « Pitié ! Pitié ! » et l’inspectrice étouffa un éclat de rire.

Au cours de l’entretien, après le départ de l’enfant, elle me regarda droit dans les yeux et me dit :
 » Vous avez une infinie sacrée patience ! »
J’ai cru qu’elle allait ajouter « Que dieu vous bénisse ! » 😉

Vous voyez, on peut se passer d’images durant quelques jours, non ?

6 Comments

  1. Ha ha ha ! Je vais me coucher sur un éclat de rire, la façon de retourner la situation à la fin est géniale 😉
    Malicieux Simonu qui trouve toujours le côté positif et souriant d’un situation. Votre texte n’a en effet besoin d’aucune image, bravo 🙂

    1. Si vous saviez comme cela me fait plaisir !
      Je souris à votre commentaire aussi, je me sens compris.
      C’est sympa et très encourageant.
      Je suis en train de construire le nouveau blog et j’achoppe grave comme disent les jeunes d’aujourd’hui, car il y a de nombreuses ruptures dans la récupération et la relance n’est pas fulminante. Ça traîne beaucoup et retarde le coup d’envoi.
      En outre, je n’ai pas pu récupérer mon titre « Les choses de la vie », ce sera donc une autre aventure.
      Voilà Tatiana, avec cette sympathique intervention un dimanche, ici pluvieux, très vieux même, vous méritiez cette avant première 😉
      Que dieu vous bénisse ! Oserai-je, comme semblait le dire l’inspectrice..
      Lorsque vous serez inspectée, souriez à cette anecdote et bon vent dans la carrière… 🙂

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