Palabres.

J’adore parler lorsque quelqu’un me tombe entre les pattes. Il y a une raison à cela. Je vis dans un endroit retiré et je vois passer peu de gens par ici. Alors, comme l’araignée sur sa toile, je me venge sur celui qui s’aventure jusque-là.

En général, on ne m’en veut pas car je m’embarque sur des sujets peu courus de sorte que l’ennui ne soit pas au rendez-vous. Souvent, cela intrigue, bref on ne m’en tient pas trop rigueur de voler la vedette, de faire cavalier seul, d’ailleurs, je suis très vigilant, très réceptif et capable de détecter le moindre milligramme d’agacement et là, je vous assure, je m’arrête net. Je fais la remarque et on ne m’entend plus.

N’allez pas croire que je suis le roi des palabres, de la discussion interminable, inutile et oisive. Je ne pourrais pas, il me faut du sel et du poivre. Des piments, du consistant, de la matière entre les mains et je raffole de donner du plaisir en tout genre, du gastronomique au sensuel en courant tous les autres possibles.

Palabres. Ce mot a toqué à ma tête. Nous avons dans nos villages de magnifiques tilleuls, des ormes bien en branchage et feuillage sur nos places de quartiers. Et tout autour des troncs, des bancs en pierre de taille qui datent de nos aïeux. J’imagine ces arbres majestueux, pleins de sagesse, remplis d’années à entendre tant d’indiscrétions les soirs au clair de lune ou par des nuits étoilées sans Séléné. Je me verrais bien sous ces arbres à palabres en maître du même nom pour entendre les travers de notre petit monde local. Je sais écouter aussi, ce fut, durant trois décennies, mon boulot car c’est de l’écoute et du regard que j’ai appris des humains bien plus que des livres.

Comme les vieux sages africains, à la peau tannée par l’expérience, j’adorerai porter la bonne parole. Celle qui remet un peu d’ordre et de bon sens dans l’esprit des gens torturés. Je suis quasiment certain que bon nombre de souffrances dues à l’incompréhension, à la maladresse, à l’agacement ou tout autre sentiment mauvais porteur, pourraient trouver un apaisement à l’ombre d’un arbre.
Au Gabon, bien au frais sous l’arbre à palabres, peut-être pour refroidir les esprits échauffés, on discute pour tenter d’apaiser les problèmes rencontrés dans une communauté. L’idée d’un jeu de mot me vient à l’esprit – je l’ai déjà fait précédemment et tant pis s’il tombe à plat : N’est-ce pas là, sous l’arbre à palabres, que le gars bon nait ? Je veux dire celui qui se bonifie après toutes ces mises au point, après avoir aspiré un peu de sérénité, de bon sens ou de jugeote, sans être, évidemment, originaire du Gabon.

Je ne connais pas les intentions mauvaises et je ne pense pas avoir l’esprit tordu. J’ai le sens nécessaire pour comprendre et aider les autres, beaucoup moins apte à passer outre mes propres problèmes. J’apporte la paix aux autres et ne suis pas toujours en paix avec moi-même. Etre vigil de soi, ou vigile si le mot vous déplait, n’est jamais de tout repos. On pompe le surplus d’énergie électrique des autres, on absorbe la vôtre et on vous passe la patate chaude. Tel un accumulateur, le réceptif emmagasine trop et lorsque la batterie est pleine, il la vide, c’est l’éclair qui fuse suivi du tonnerre puis le calme et l’apaisement reviennent.

Voyez-vous, chez nous, il existe une expression très imagée « vengu à sbaccinà », je viens, sous-entendu, te voir pour « vider le décalitre ».
Le décalitre était une mesure agraire d’une capacité de 10 litres comme son nom l’indique, qui servait à mesurer le volume de noix, de haricots secs ou de châtaignes que l’on vendait dans les quartiers. On vidait son contenu, une fois rempli à ras bord dans un sac de jute ou dans un quelconque qu’autre récipient. L’expression est belle, pour dire « je viens soulager ma conscience ou me débarrasser de mes tracas que je ne parviens plus à garder pour moi ».

C’est curieux, je suis presque certain de pouvoir entretenir la bonne palabre sous un chêne ou même sous un châtaignier lorsque ses chatons libèrent leur poudre d’un jaune soufré… N’ayez crainte, à la chute des bogues et des châtaignes nous ferons relâche, juste le temps de « Chauds ! Chauds ! Les marrons chauds ! ». Un moment tout aussi convivial.

Chatons, fleurs du châtaignier.

Mais faut pas rêver non plus car cela pourrait bien finir en chanson : « Palabres ! Palabres ! Et toujours des palabres, rien que des mots… »

Je n’ai pas perdu mon sourire. Pas encore, je voyage allègrement…

Le temps des châtaignes n’est plus bien loin.
J’irai les chercher jusque dans les ronces.

Comme les châtaignes qui n’ont tien à voir, voici le petit plus qui n’a rien à voir, non plus.

En titre châtaignes bouillies avec du fenouil.

6 Comments

  1. Les zhiboux m’ont fait éclater de rire, bravo !
    Je vous imagine très bien en griot africain avec en petit plus personnel : un petit verre de cap Corse et une part de clafouti (aux griottes, naturellement) à distribuer pour l’apaisement des âmes et pour l’amitié 🙂
    Jolie série de photos, ça sent bon l’automne dans le coin !

    1. Un bref instant, je me suis interrogé « Mais elle n’est jamais venue chez moi ! » 😉
      Avec de la farine de châtaigne et de l’eau, un tout petit peu de sel pour « exhauster » le goût
      on peut faire des oreilles. Délicieuses et bien sucrées sans sucre.
      De l’eau de la farine, une pâte légèrement plus épaisse que celle à crêpes.
      Dans une friture très chaude, à la poêle pour qu’elle soit plate, pas en friteuse…

      1. C’est une recette de maternelle sans prendre le risque de la friture par les enfants.
        Bon dimanche Gys. 🙂

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