Voyez-vous ce temps passer ?

« On ne peut garder sans cesse, sa jeunesse. »
Charles Aznavour

Le bien-être ne consiste pas à commenter inlassablement le passé, en bien ou en mal, mais à le magnifier pour mieux apprécier le présent en le mettant en perspective. Un contraste vif qui même défavorisant donne un peu de goût à ce que l’on trouve fade. C’est ma plus belle histoire du temps.

Une agréable marotte, le temps. Ce n’est pas une obsession, je n’en rêve pas la nuit, c’est plutôt un dada. Je l’enfourche, marche au pas, me presse au trot, file au galop et parfois, bluffeur, fais mine de m’arrêter. C’est mon amusement.

Le temps joue, le temps file, le temps est fou.
Certains l’ignorent, je ne vois que lui.
Il court, je cours, il semble souffler, je m’arrête un instant. Il redémarre, je le suis. Il joue au métro, boulot pas dodo. Un métro sans retour. Il embarque et débarque au passage pour une destination toujours inconnue, sans fin pour lui. Tout en énergie potentielle, sans chauffeur, juste des rails pour serpenter toujours devant.

Chaque jour m’interpelle spontanément, tout bêtement. C’est ainsi.
On dirait que nous sommes devenus copains, définitivement.
Je souris tout en malice, où va-t-il me conduire aujourd’hui ?
Sait-il que je ne vais pas le croire toujours ? Que je me méfie de lui ?
Non, il ne sait rien, n’écoute pas, il s’en fiche, il n’a rien d’autre à faire que passer.
Aucune lassitude, une belle indifférence.

Alors, je pioche, je taille, je mange, je bois, je clique aussi, j’écris et puis quand ça me chante, et ça me chante souvent, je fais d’autres belles choses. Des choses que vous ne soupçonnez pas. Un p’tit vieux, de l’eau dormante qui ne dort pas, qui sommeille en attendant son plaisir.

Cette petite chose qui fait des grandes choses. Des choses qui éclairent un visage et le font passer par tous ses états. De la douceur à la petite douleur sous l’effet d’un plaisir qui vous assaille soudain. Et puis on rit à deux en traversant les cieux, en visitant ce ciel dont on ne compte plus les étages. Sixième, septième, huitième ciel ? On s’en fiche des paliers, ce sont les ascenseurs successifs qui montent, qui descendent, remontent pour gicler au-dessus les toits et vont planer dans une post-douceur infinie. À nouveau la paix. Le repos du corps et de l’esprit qui se ressourcent, le feu couve encore. Un volcan en activité, tout en soubresauts et ses images incandescentes encore plus belles la nuit lorsque le ciel s’assombrit et étincelle ses étoiles. J’aime courir après ce temps qui miroite la fin sur un coup de dé qu’on ne jette pas, qui semble l’œuvre du hasard, de la nécessité si vous préférez puis surgit sans prévenir et frappe à l’aveuglette.

Le temps est par-dessus les toits et se faufile dans les caves. Le temps ne prend jamais de repos, joue sa musique inlassablement.
A tempo, acceso, acuto, affabile, affannatu, allegretto, allegro, andante, crescendo, decrescendo, lento, grazioso, pizzicato, scherzando, tenuto, vivace et une cinquantaine d’autres nuances de cris.

C’est ainsi que je déroule ma partition et mon tempo. Une symphonie pour homme seul envahi par toutes ces notes, un chef d’orchestre pour musique intime, confidentielle. Une musique de chambre secrète où domine la clarinette. Le temps rebondit de cordes en percussions, de cuivres en bois, de cordes pincées à cordes frappées, de vent métallique à vent boisé et tant pis pour ceux qui n’entendent que pipeau ou violon.

Ah ? Comment s’appelle la longueur de temps ?
Oui, c’est c’la, la durée.
Pourvu qu’il dure encore un peu.
Dérisoire, très bientôt quelqu’un dira, « déjà ? »
Oui, déjà, souvenez-vous : « Hè mortu Louis XIV ! * »

Le plus dur c’est de partir alors que l’esprit est encore vif et réclame un peu de temps. C’est cela mourir vivant. Vous voyez ?

Voyez-vous ce temps passer ? C’est bien lui qui m’invite à ce claque-mots pour adoucir les maux de la vie, ne voir que l’autre face pour mourir de plaisir.

Je ne serai pas passé pour rien, c’est le temps fripon qui me le dit.

Que sais-je ? Alors je pense et donc je suis… durant ce temps qui m’est imparti.

A chacun sa notion de temps.

* « Même Louis XIV est mort !»
Rappel : J’avais douze ans, nous étions au mois de mai, je m’inquiétais, trouvant le temps long pour arriver aux vacances. Un ami de fin d’études, m’a balancé cette expression : O madona, hè mortu Louis XIV ! ( Madone, Louis XIV est mort ! Sous entendu regarde comme le temps passe vite !). C’est à partir de ce jour que je suis rentré dans la notion de temps… la fin n’a jamais été aussi proche.
Peut-on déjouer le temps en inscrivant sur chaque front « Je meurs demain » pour créer un leurre perpétuel ?
Même pas.

2 Comments

  1. C’est une remise à jour d’un ancien texte qui a déjà quelques années.
    Voici un commentaire de l’amie Luce aujourd’hui disparue qui m’interpellait souvent sur ma notion de temps.
    La saluer encore une fois, parfois elle suivait :
    Luce Caggini
    23 Avr 2014 à 13 h 05 min Modifier
    Bonjour Simon, si vous l ‘acceptez, je me « raconte » – un extrait de mon futur livre -mais qui correspond, il me semble, au sentiment que vous exprimez.
    Oui, nous transportons nos lieux ..
    « Je m’enclavais sous l‘écorce, je réveillais l’incandescence, j’inhalais l‘odeur du haïk que j’avais replié, caché en des lieux frontaliers.
    Dans ce climat purifié de zone interdite… j’inhalais l‘odeur… »

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