Le cartable.

La simple vue d’un cartable, posé négligemment sur une chaise, a suffi à déclencher tout un cortège d’idées. C’était à l’occasion d’une visite impromptue.

On n’imagine pas toujours à quel point des objets si simples peuvent cacher grande richesse insoupçonnée.
Comment un cartable, un banal sac à cahiers et à livres, peut-il avoir tant d’importance jusqu’à devenir révélateur de personnalité ?

Est-ce le cuir qui lui vaut une quelconque richesse ?
Pas du tout, c’est son contenu invisible qui nous intéresse aujourd’hui.
Le contenant fait fonction de coffre-fort de l’âme comme une coque, un écrin abri des tréfonds de notre être .

Si le journal intime recèle les petits secrets soigneusement couchés dans la cursive des mots, cachette pour sentiments et ressentiments, la sacoche de l’écolier, de l’étudiant ou du cadre est une planque de la personnalité. Nul n’imagine en y plongeant sa main, pour enfouir un objet, qu’il est en train d’y fourrer son âme en vrac ou bien rangée.

A la fouille, à la visite, il est possible de réaliser une sorte de « chartalogie » ou de « chartanalyse », d’analyse de la personnalité à travers le contenu d’un cartable – Charta en latin = la carte, est à l’origine du mot cartable – exactement comme le ferait un graphologue en étudiant une écriture.

Un jour, dans une classe de collège, un professeur très porté sur l’ordre et la propreté avait décidé d’inspecter un cartable devant tous les élèves. Il marqua son arrêt devant la table d’une jeune fille plutôt bien en chair.
Était-ce par hasard ou par choix délibéré, on ne le saura jamais.
L’objet était exposé sur le bureau à la vue de tous.
Très théâtral, l’enseignant jouait chaque geste. Lorsqu’il plongea son bras tout au fond, sans regarder, il s’arrêta net. Il remonta lentement sa main et la sortit du sac, les doigts enrobés de chocolat, pâteux sur une bonne longueur.
Une des deux poches principales tenait lieu de réserve à bonbons, gâteaux et autres sucreries. Le chocolat posé sans son papier avait fondu.
La jeune fille grignotait ou se léchait les doigts chocolatés à longueur de journée pour calmer ses angoisses.
Ce n’était pas le propos de l’enseignant puisqu’il s’intéressait au désordre exclusivement, cherchant un exemple dans la classe comme si pareil enfant, englué dans ses difficultés personnelles, n’avait d’autre souci que l’ordre des objets scolaires…

Bien des années plus tard, j’eus pour collègue une psychomotricienne guindée, d’apparence rigide. Elle se déplaçait toujours vêtue d’une sorte de pardessus gris, quelle que fut la saison, trimballant partout son éternel cartable plat, tout neuf.
J’étais intrigué par ce porte-documents de cuir vif qui ne semblait jamais vieillir comme s’il sortait à l’instant du magasin…
Ce personnage austère, secret, fermé, étriqué incarnait l’immobilité, à l’opposé de l’habituelle personnalité d’une psychomotricienne, enjouée, souriante, sautillante, avenante, libérée, bien dans ses baskets.
On se demandait comment elle avait pu embrasser la fonction. C’était un accident de parcours.
La profession nouvelle en était à ses débuts, le personnel faisait défaut, il suffisait presque de présenter sa candidature pour être embauché.
La dame était si mal à l’aise dans son travail qu’elle quitta assez rapidement la fonction pour entrer dans « les ordres » (à servir dans une église).
Un jour j’ai cru comprendre en remarquant qu’elle n’ouvrait jamais son cartable éclatant du cuir neuf. Il était vide, elle m’en avait fait confidence, seulement rempli de toute sa vacuité. 
Cette femme coincée dans la vie, mal à l’aise dans son travail, ne lâchait jamais son cartable dont la seule fonction consistait à lui donner une contenance alors qu’il ne contenait rien.
Elle traversait la cour des écoles, bien droite avec son mystère serré contre sa cuisse. Une personne bardée de pesanteur secrète, mal dans sa sphère familiale, phagocytée par ses quatre enfants et son mari.
Ils lui pompaient toute son énergie, elle n’avait plus rien à offrir aux autres.
Silencieuse, sans jamais se plaindre, elle transportait sa lassitude bien posée au fond de sa sacoche. Lorsque d’autres déclarent en avoir plein le dos, elle faisait silence sans jamais se révolter.

Dis-moi ce que tu mets dans ton cartable et je te dirai qui tu es.
Souvent, notre personnalité se cache au fond des sacs, il suffit d’y jeter un regard pour trouver une âme secrète.
Mais gardons-nous de tirer des conclusions hâtives, je le sais par expérience, seules des indications semblent possibles, pas les vérités.

Quel est le petit malin qui a inventé le fourre-tout ?

Sans doute un trouble-psy !
Un empêcheur de souffler en rond, ce n’est pas avec lui que les éoliennes produiraient de la lumière…

Les cartables reflets d’une âme.

4 Comments

  1. Deux belles images de cartables dont on se demande ce qu’ils contiennent 😉 Si, je sais! : toute la magie de l’Arastaca! 🙂

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