L’action évoquée en fin de texte s’est produite à cet endroit. C’était notre jardin de famille aujourd’hui abandonné, faisant office de parking, l’été venu…
Au fond de ma Navaggia natale, j’ai appris beaucoup de choses au contact de gens simples confrontés à la vraie vie.
Le cochon était un bien précieux dont il ne fallait perdre le moindre morceau pour nourrir la famille. Le jardin assurait l’essentiel en fruits et légumes une bonne partie de l’année. L’âne se chargeait du débroussaillement et de l’amendement du sol en déposant son crottin un peu partout à la saison dormante. La cheminée fournissait avec sa cendre, calcium, potassium, silice et magnésium en quantité raisonnable à condition de doser savamment les dépôts des restes du feu sur les planches à cultiver…
Certaines années, nous attendions les oncles et tantes partis sur le continent depuis belle lurette. Leur descendance, cousins et cousines nés sur l’autre versant de la méditerranée, venait faire connaissance avec nous.
Les tontons débarqués de Marseille avaient pris épouse là-bas et leur accent pointu était très marqué. L’empreinte marseillaise les avait franchement dénaturés. On aurait dit qu’ils forçaient les expressions pour résister à leurs origines dont le langage était moins volubile et moins tonitruant. Leur manière de se présenter à nous, médaillons et croix démesurés sur la poitrine, témoignaient de leur réussite. Ils étaient fiers en arrivant avec des batteries de casseroles, des espadrilles ou des spartiates, des chapeaux de paille qu’on appelait paillettes, des lunettes de soleil, des chemises à manches courtes, comme des shorts colorés pour les enfants. Ils nous en faisaient offrandes, appréciées, il faut bien l’avouer.
Parfois, les enfants les désignaient oncles et tantes d’Amérique en couleur, tant leur tenue vestimentaire était bariolée. Leur jour d’arrivée était jour de cocagne pour les gens du quartier. Des retrouvailles attendues.
Leur comportement avait changé car ils revenaient plus argentés qu’ils n’étaient partis, du moins le pensaient-ils ou le croyions-nous. Si les parents du village les attendaient pour se remémorer leur enfance, eux avaient dépassé cette nostalgie, préférant évoquer leur réussite. Seuls les plus anciens s’attendrissaient sur les sentiments nostalgiques. C’est en vieillissant qu’ils fondaient en émotions, plus facilement, en se souvenant de leur passé dans les chaumières comme un appel pressant de leurs racines…
Les entendre parler avec l’accent continental nous impressionnait beaucoup. Notre vocabulaire très limité et l’élocution plus timide nous poussaient à nous taire, à les écouter avec une pointe d’admiration. On avait l’impression que la réussite était ailleurs, comme à Cipango et ses mines lointaines. C’est de la sorte que des poèmes comme « Les conquérants » de José Maria de Heredia s’imprimaient plus facilement dans nos mémoires…
Nous, les enfants, ne retrouvions une supériorité qu’en courant pieds nus dans le maquis. Les cousins redoutaient les ronces, hésitaient à grimper sur un arbre ou à escalader un rocher. Nous prenions notre revanche en leur découvrant quelques faiblesses…
Grand-mère s’affairait au jardin. C’était un mois d’août, elle n’aimait pas trop que ses neveux viennent avec elle car les enfants de la ville ça met les pieds partout. Ces petits Attila, les uns comme les autres, ne laissaient aucune chance aux plantules qui visaient l’automne.
Elle les surveillait de loin, l’œil inquiet, tout en désherbant quelques pieds de tomates…
Elle ne parlait jamais français, son vocabulaire était assez limité bien qu’elle passât une grande partie de ses nuits d’hiver à rêver en feuilletant le catalogue Manufrance. Elle s’intéressait surtout aux images en espérant faire quelque commande.
Elle commençait à s’inquiéter en voyant Gaston gambader dans tous les sens comme un cabri insouciant, en totale liberté. Elle l’interpella :
– Gaston, porte-moi le rasteddu !
– C’est quoi le rasteddu tantine ?
– Cherche, cherche, tu vas trouver !
Gaston prospecta, faisant le tour du jardin pour voir s’il trouvait quelque chose qui pouvait ressembler à un rasteddu. Dans son innocence citadine et sa recherche fofolle, il mit le pied sur les dents du râteau qui se révolta aussitôt en lui assénant un sévère coup de manche sur le nez.
– Sacré rasteddu ! s’écria-t-il.
Minnana qui connaissait la révolte du râteau depuis fort longtemps et s’en méfiait désormais, ne put s’empêcher de laisser s’échapper un rire à peine étouffé. La marque imprimée au beau milieu du front a vite fait d’assimiler « rasteddu à râteau » dans l’esprit du cousin.
Il n’y a point de meilleur langage que celui de l’usage.
Grand-mère le pensait sans doute :
- U francesu u n’hè mica subra à nò ! Dui paroli si sò maritati qui, senza préti ! Sacré rasteddu va !
(Le français n’est pas mieux que le corse ! Deux mots se sont mariés ici, sans curé !
Sacré râteau va !)
Vous n’allez pas me croire, qu’est-ce que j’ai ri tout seul, en me remémorant cette histoire lorsque j’ai failli « calciquer » le râteau.
(Calcicà = piétiner ou marcher sur les pieds de quelqu’un. Souvent nous jouions à franciser les mots, on appelait cette pseudo traduction, « sfrancisà »
Cipango=Nom mandarin du Pays du soleil levant (le Japon) donné par les chinois lors du passage de Marco Polo. Un archipel réputé riche de mines d’or et autres raretés.
Savoureuse histoire 😉
Une dame très âgée chez qui je travaillais me racontait combien elle était fière de retourner fanfaronner au village au volant de sa voiture (c’est vrai qu’à l’époque les femmes qui conduisaient étaient rare, même sur le continent, mais enfin.. ) avec les ongles laqués de rouge etc… Elle croyait leur en mettre plein la vue, la pauvre. Je devais la supporter sans rien dire mais je lui aurais volontiers balancé le seau dans les jambes ;)… à défaut du rasteddu 🙂
Oui, oui je patienterai jusqu’au printemps s’il le faut pour les violettes, mais pas plus!
Je pense que le printemps arrivera en fin d’après-midi 🙂
🙂