Plus la retraite s’éternise et plus le retour à l’enfance devient fréquent. Ce n’est peut-être pas le cas pour ceux qui s’occupent comme s’ils travaillaient encore, s’affairant à mille choses qui ne leur laissent pas le loisir de remonter le temps. Ils ont encore le futur en ligne de mire, c’est parfait s’ils ne visent le leurre.
Mon futur est bien devant moi mais dans le rétroviseur.
Je ne les envie pas, je me la coule douce et cela me convient parfaitement. J’ai rendu les armes depuis belle lurette, je savoure la paix de l’âme et de l’esprit. J’épicure aussi, peut-être un peu trop. J’ai confiance en ma jauge, un jour elle me fera signe de modérer les excès en tous genres, pour l’heure ça va.
Le temps venu, j’espère ne pas trop m’éterniser, il est inutile d’encombrer la vie des autres, il faut respecter le « game over » qui nous attend.
Ce matin, je rêvassais dans la grisaille du moment. Une journée brumeuse typique d’un épisode de crachin. Une pluie fine, tranquille mais pénétrante frimait sans ostentation pour nous plonger dans une morosité de saison. Une tristesse à mourir glissait inexorablement vers la torpeur, il était temps de s’évader. Je venais d’enfourcher ma machine à remonter le temps. A travers vitres, je voyais défiler les saisons, tout le printemps, puis l’été lorsque le train ralentissait pour entrer en gare…
Nous étions en plein mois d’août, il faisait chaud. Dans le ciel d’un azur de peintre optimiste, les martinets zébraient l’air, frisant les toits des maisons puis remontant très haut à la verticale en poussant des trilles stridents d’un aigu très pointu. Pas un nuage, pas le moindre souffle léger.
J’avais huit ans, j’étais loin de penser à l’utile. Dans le jardin de mes grands-parents, j’étais assis au milieu des tomates, adossé au muret de pierres sèches qui soutenait la planche supérieure, je nageais dans l’agréable. Tantôt à l’écoute des trilles, tantôt noyé dans le bleu d’une pureté divine. J’étais dans la beauté des choses, totalement immobile et silencieux au pied du poirier de poires williams. Des poires à la saveur musquée, à aucune autre pareille, des fruits plutôt trapus à la base dont la peau mélangeait savamment le jaune et le rouge. Des couleurs soutenues qu’un peintre aquarelliste céleste déposait pour annoncer la maturité.
Les mésanges bleues comme les charbonnières étaient au rendez-vous. Elles ne manquaient jamais le bal aoûtien qui se tenait sur le poirier. Elles arrivaient par deux ou par trois, actionnaient leurs cous de preste manière pour apprécier l’angle d’attaque. Elles savaient détecter l’endroit le plus juteux, commençaient à piocher puis élargissaient le trou creusé dans la pulpe et, gaspilleuses, passaient à la poire suivante. On aurait dit quelles se précipitaient sur un fruit intact pour être « l’entameuse » avant les autres, un gaspillage insupportable. Je me levais brusquement, elles déguerpissaient. Le silence et le calme revenait un instant puis frtt frtt, une, deux, trois surgissaient de nulle part. J’étais incapable de les identifier, j’imagine que c’étaient les mêmes qui rappliquaient. Sans hésiter, elles reprenaient leurs forages pour s’empiffrer de pulpe et de jus nouveau, bien sucré. Par moments, l’une d’elles se tordait le cou pour me viser d’un œil provocateur :
« T’as goûté toi ? Elles sont juteuses à point, parfaites les williams ! »
Pouf ! Je ne disais rien, préférant me taire et profiter, un temps de plus, de ce spectacle merveilleux des oiseaux qui sans ambages viennent cueillir leur dû juste sous nos yeux.
Nous avons inventé les jardins mais pas la nature.
Les fruitiers et les mésanges se connaissent de longue date…
J’étais certain que toutes les poires poinçonnées par les mésanges, un label naturel pour un produit de bonne qualité, était parvenues à parfaite maturité. Avec ma longue canne posée au pied de l’arbre, je les gaulais. Par la force de l’habitude, j’en rattrapais quelques unes avant qu’elles touchent terre. Je les croquais à pleines dents en évitant les cratères largement ouverts par les petits volatiles des jardins. Je mâchais goulûment, à chaque pression de mâchoire, le jus coulais sur le menton. C’est à partir de cette période que j’ai pris l’habitude de fermer les yeux pour mieux apprécier le goût des choses…
Parfois mais c’était plus rare, un pic épeiche qui nichait dans les noyers en contrebas venait se poser sur la partie haute du tronc. On aurait dit qu’il avait branché un mini marteau piqueur au rythme effréné, il débarrassait l’arbre de ses insectes ravageurs. Très vif, il ne restait pas longtemps, parfois ne prenait pas le temps de se poser, me repérant en plein vol.
Dans mes déplacements inopinés, je ne prends jamais de billet retour. Il suffit de rouvrir les yeux.
Dehors, il crachine toujours, les nuages sont bas, je reviens d’un long voyage, je viens de quitter mes huit ans.
J’ai la faculté de filer dans le temps et l’espace, je suis une mésange à ma manière.
Je picore le meilleur sans me soucier de ceux qui me regardent en pensant que je ressemble plus à un corbeau.
A reblogué ceci sur Les choses de la vieet a ajouté:
Pour une relecture ou une découverte, la date est plus conforme à celle du jour de la publication.
Bonne soirée.
Même en relecture c’est bon, ce temps de sérénité qui petit nous semble éternel. Quand on devient grand, c’est la plus grosse déception de la vie que de se rendre comte qu’il n l’est pas.
Super photos 🙂
Eh oui ! Moi, je me cache pour qu’on m’oublie, jusqu’à présent ça a marché.
J’ai une super anecdote à ce sujet mais trop longue à écrire. 🙂