La mante agnostique.

La nuit sans lune était noire. Séléné* et Eole avaient déserté l’endroit, la voute céleste éclairée par la lumière des étoiles semblait baigner dans une brume laiteuse. Des myriades d’astres clignotaient dans une respiration paisible rythmée par de minuscules cœurs palpitants. En quelques secondes, mon esprit vagabond fut propulsé à travers l’Univers comme un appel irrésistible à visiter les étoiles. Après la traversée de notre Voie Lactée, je fus intrigué par la galaxie du Moulinet très colorée, tournant vivement sur elle-même. Ce tourbillon infernal m’impressionnait, je mis le cap sur la galaxie du Sombrero, plus paisible, lenticulaire, portant en son cœur une forte source éclairante. C’est là que je me suis posé, en périphérie, sur une planète tranquille qui gravitait autour du bulbe lumineux.

Araignée pas finie…

Toutes les luminosités étaient blafardes, vues de près. Rien ne scintillait, rien ne rutilait comme vu de loin. Les êtres présents sur le sol, à peine traversé par un courant d’air léger, ressemblaient à nos insectes et nos arachnides.  De vagues araignées à un stade archaïque, pas encore finies, tendaient leur toile pour se tenir en hauteur et gober la brise toujours douce, au souffle léger et continu. Elles semblaient s’ignorer les unes les autres se nourrissant essentiellement d’air ambiant. Une espèce atmosphérivore d’une grande passivité qui vivait sans aucune émotion, aucune agressivité. Un monde totalement inoffensif.

La mante agnostique en devenir de mante objective.

 
Dans un coin retiré où dominait le vert soutenu et sombre, une bête presque aussi grande que moi, tapie derrière un végétal, me surveillait avec curiosité. Un être qui ressemblait nettement à notre mante terrestre. Elle n’avait qu’un seul neurone qui conduisait toujours la même idée mais semblait beaucoup plus évoluée que les autres. Une lubie, une idée fixe la poursuivait. Contemplant son monde intriguant, elle se questionnait sur l’origine de son existence. Elle était mante agnostique et s’imaginait un Dieu athée. Un être suprême qui aurait inventé ce monde hors de toute religion, ignorant les dogmes, les prières et tout ce qui se voue à l’adoration. Un créateur qui donne vie puis s’éclipse sans rien demander en retour qui contient tout et n’a que faire de la suite puisqu’il la connaît déjà. Il est hors du temps, totalement inaccessible, hors de portée de toute pensée. Pas le moins du monde égratigné par la bêtise planétaire, indifférent aux injures, au blasphème comme à toute forme de vénération. Aucun conflit ne venait troubler la zénitude de l’endroit.

Finalement, la mante agnostique ne doutait pas, elle était mante objective, fidèle à son postulat, tout coulait de source.

Une évolution indéfinissable entre lenteur et accélération s’effectuait sous mes yeux. Toutes ces créatures qui s’ignoraient, vivaient côte à côte sans former la moindre collectivité, sans droit de regard autorisé sur ce monde énigmatique, sans structure élaborée. Un monde insaisissable pour nous, baignait dans l’ennui sans le savoir. J’imaginais leur indifférence vitale alors que cette conscience n’existait pas sous ces latitudes. Un autre monde, d’autres formes de vie que seule une pensée anthropomorphique comme la mienne pouvait déranger. Je me suis retiré sur la pointe des pieds lorsque la mante développa sa pensée en multipliant ses neurones au fil du temps qui m’apparut beaucoup plus accéléré que sur terre. Dans ce monde qui m’était étranger jusque-là, les minutes semblaient des mois et les heures des années, je venais juste de m’en apercevoir. Très vite, les connexions cérébrales devinrent plus complexes, notre bête sereine commençait à se poser des questions qu’elle ignorait jusque-là. L’idée fixe s’alambiquait.

Avec la complexité galopante de la pensée, la mante agnostique devenait religieuse. Les ennuis et les tracas s’annonçaient…

La mante religieuse.

Je n’avais plus rien à apprendre qui n’existait déjà sur notre planète… A la vitesse de la lumière, je sortis de mon songe éveillé pour remettre les pieds sur terre.

C’était, une nuit, du côté de la galaxie du Sombrero et dès mon retour à la réalité, je ne pus m’empêcher de m’étonner :

Hé ! Caramba Hombre !

*Séléné = déesse de la lune

Arachnide, galaxie du Moulinet.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *