Des orages avaient été annoncés vers onze heures. Ils avaient pris du retard, nous étions à la Zinella pour un déjeuner rapide avant l’arrivée des premiers coups de tonnerre.
Il devait être 13 h 30, les nuages commençaient à se regrouper, le ciel s’assombrissait prévenant le monde de l’Aratasca de l’arrivée imminente des pluies. Pourvu que les averses ne soient pas trop fortes, la terre est trop sèche, le risque de dégâts est trop important.
C’est à ce moment que nous entendîmes des cris de volailles qui montaient du jardin. Des cris inhabituels, un affolement galinesque nous annonçait que quelque chose se produisait dans l’enclos du poulailler.
Quatre poules, les deux Harco, la grise et la rousse avaient franchi le grillage pour la première fois. Friandise la rousse paradait en contre-bas sur le chemin qui mène à la maison. Les trois autres divaguaient dans le jardin, à hue et à dia, à la fois paniquées et surprises par la découverte d’un nouvel environnement. Elles picoraient et grattaient à tout va, levant la tête bien haute par moments comme si elles se méfiaient d’un danger imminent. J’ignore l’origine de cette panique. J’ai remarqué qu’une partie du grillage était affaissée comme si une bête de poids s’était appuyée dessus. J’ai cru comprendre que les gélines s’étaient enfuient par cet endroit sous une menace soudaine. Était-ce le renard ? J’en doute fort. Était-ce un chien ? Possible, il y en a qui traînent dans les parages. Peut-être le milan qui plane au-dessus du jardin à cette heure-ci mais j’en doute aussi. Après maintes courses plus ou moins circulaires, zigzaguées ou désordonnées pour tenter d’en attraper une, j’ai réussi à les piéger entre le grillage et un buisson touffu. J’ai pu les choper une par une et les balancer dans l’enclos sans ménagement car elles volent et ne craignent pas de choir de si haut. La blanche qui venait d’entendre tout ce boucan est sortie du poulailler en faisant son étonnée.
- Qu’est-ce qu’il se passe ? Ça va pas les poulettes !
Figurez-vous qu’elle s’est remise à couver encore une fois. Elle était restée deux mois dans le nid entre mai et juin et une partie de juillet. Voilà qu’elle recommence et qu’elle donne des ordres en corrigeant les autres à coups de bec…
Friandise ne se souciait de rien, elle s’éloignait sous les chênes, se perdait dans le maquis. Je la soupçonne d’avoir lu « La chèvre de M. Seguin ». Il fallait la voir la tête haute picorant les herbes sur le talus et peut-être rêvant de rencontrer un beau coq au chant de stentor et à la plume vivement colorée. J’avais beau lui dire : « Viens, viens, il n’y a pas de coq par ici ! Le renard rôde la nuit, tu ne l’entends pas lorsqu’il aboie en imitant le chien ? »
Elle me regardait d’un œil bien rond et faillit me dire « Tiens ! Mon œil, on est bien là, je suis libre ! Tu ne nous as jamais parlé de liberté ! » Et elle pédalait, tantôt de sa patte gauche, tantôt avec la droite pour écarter des feuilles sèches et lorgnait dans ma direction prête à déguerpir dans le ravin. « Tu connais la fin de l’histoire ! Lui dis-je. Blanquette entendait la corne de M. Seguin mais faisait la sourde oreille, toute la nuit elle a lutté contre le loup, veux-tu qu’il t’arrive pareille aventure avec Goupil ? » Rien à faire, elle pouffait comme une poule qu’elle est et son sourire narquois semblait dire : « Foutaise M. Seguin, pardon M. Simon ! Vous n’avez point de corne et me claironnez des balivernes, rien ne vaut liberté que je viens de connaître aujourd’hui ! »
L’orage menaçait, le tonnerre qui grondait au loin se rapprochait.
A cet instant, j’ai compris que c’était fichu. Friandise est une poulette alerte, en pleine forme, je ne pouvais me mesurer à elle. Je suis rentré tête basse en espérant qu’elle retrouverait raison à la nuit tombante.
Lorsque mon fils est arrivé, il a pas mal bataillé pour la rabattre vers le jardin. Anna Livia faisait le guet un peu plus haut et accourut pour m’annoncer : « Friandise est dans le jardin missiau ! Vite viens !
Entre temps Francesca qui avait choisi Friandise, m’apporta un dessin et me dit : « Voilà comment je suis si on ne retrouve pas ma poule ». Elle avait dessiné une fille remplie de tristesse.
Nous avons patienté en observant la géline qui avait repéré le poulailler du haut d’un talus et cherchait à rejoindre ses copines en passant devant le grillage sans trouver de passage. A deux, nous avons réussi à la conduire jusqu’au piège entre grillage et buisson. J’ai pu l’attraper par les pattes. Elle était furieuse, très en colère mais n’osa me donner coup de bec. Finalement, elle semblait heureuse d’avoir regagné le bercail comme si rien ne s’était passé.
Une histoire de basse-cour qui devait arriver un jour ou l’autre.
Ce soir c’est le calme, il a fallu batailler plus de quatre heures pour reprendre le train-train quotidien. « Cotcotcodecdecdec ! » Entendis-je en sortant de l’enclos. En langage de gallinacée ça signifie : « Tu as eu chaud ! On t’a bien secoué ! »
Je ne serais pas étonné qu’elles me jouent une autre comédie, un de ces jours…
C’est la deuxième fois que cela m’arrive mais cette fois-ci, ce n’était point méprise avec la poule du voisin, c’étaient bien mes gélines qui s’étaient fait la belle.
La raison, je ne la connaîtrai sans doute jamais…