L’endroit est calme. Pas un touriste en vue dans les parages et donc pas de risque qu’une plainte soit portée contre moi pour tapage nocturne autorisé aux grenouilles du bassin. Les grillons aussi s’en donnent à cœur joie mais ils sont éparpillés dans la nature, chez moi et hors de chez moi, urbi et orbi. Aucun souci, on ne pourra me reprocher de les avoir inventés.
Dès que la nuit est bien installée et que la lune semble au meilleur de sa forme circulaire, quelques vocalises montent du jardin. Les batraciens, assouplissent leurs sacs vocaux, les gonflant et les dégonflant pour retrouver la bonne élasticité avant le lancement du concert. Après un long silence, j’imagine que l’orchestre s’installe sans faire de bruit aux quatre coins cardinaux du bassin, un coassement grave donne le ton et l’ensemble instrumental démarre sa partition. Je crois reconnaître quelques passages de Jean Sébastien pour les intimes. Du Brahms parfois mais je ne saurais vous dire car je suis bien incapable de reconnaître leurs empreintes musicales. Je fais semblant de croire qu’il s’agit de mélodies classiques avec des envolées, des crescendos, des silences suivis d’un andante et farinante de la plus belle interprétation. Comme le public d’une salle de concert, je fais silence, je m’évade dans les étoiles qui me contemplent en scintillant, parfois en zébrant le firmament d’une longue estafilade. Séléné me sourit, fait la moue sur un couac soudain puis ferme les yeux et plonge dans une rêverie qui papillonne dans les galaxies. Quelques nuages évanescents, des tulles vaporeux et souples s’accordent avec une brise légère attirée par les notes qui montent du bassin. Tout ce qui se détache dans le ciel et se devine à la lueur de la lune est entré dans la danse et mon esprit danse aussi. J’aime cet air frais, l’air musical comme l’air à peine soufflé par Eole qui est de sortie nocturne. Soudain, tout s’arrête. Un long silence, une solitude absolue. Un hérisson dans le buisson, peut-être une tortue en vadrouille ou la chouette qui a frôlé la surface de l’eau de son vol silencieux. Le moindre bruit, inaudible pour moi laisse les grenouilles méfiantes, sans voix… Le danger potentiel passé, l’orchestre reprend de plus belle, mon esprit reprend sa balade dans l’imaginaire… au diapason avec les copines…
Un matin, j’ai prospecté autour du bassin. Profitant de l’humidité qui filtre à travers les fissures, l’herbe est bien haute au pourtour de la vasque. La menthe poivrée a prospéré. Soudain, bien collé à la paroi, à la verticale, un petit spécimen tout vert me regarde :
- Qu’est-ce que tu fais là ? Tu veux ma photo ?
- Ça y est, je l’ai déjà faite ! T’inquiète, c’était pour voir qui chante la nuit !
En fouillant dans les herbes fraîches, une autre rainette bien agrippée à la tige de la menthe semblait faire la sieste. Un mimétisme parfait. Elle n’a pas bronché.
J’étais heureux, je venais de rencontrer les artistes comme d’autres rencontrent leur idole et font un selfie. Je me suis contenté de leur tirer le portrait…
Ce soir, je les imaginerai. Les petites aux sons aigus, les plus grosses à la voix grave joueront pour moi leur concert nocturne après un bon repas de moustiques.
Je vis dans un paradis, je vous l’assure, l’art m’entoure. Musique, peinture et littérature font tout un cinéma, par là… En Aratasca.