Picasso.

Aujourd’hui, me revient l’épisode PTH. Prothèse Totale de la Hanche.
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Un lendemain de fête au billard.

Le séjour hospitalier fut très court, quatre jours seulement et debout dès le lendemain de l’opération effectuée la veille en cours d’après-midi. Un tempo serré. Très vite à la maison pour faire l’apprentissage des béquilles, tout le monde n’a pas le sens de la conduite bâtons en mains. Moi qui sautais comme un cabri, qui tapait dans un ballon et faisais des feintes tarabiscotées à vous déhancher un mammouth – j’imagine que toutes ces contorsions brutales, désordonnées, sans échauffement préalable ont eu raison de ma hanche droite, à la longue – je me suis retrouvé à faire l’apprentissage des béquilles. Parcours en ligne droite et terrain plat, léger démarrage en pente douce, virage à gauche puis à droite, c’est fou, on se retrouve à faire ses premiers pas. Un passage qui a beaucoup amusé mon moniteur de béquille-école, un jeune kiné avec qui j’ai passé plus de temps à faire de la philosovie que de la gymnastique. A raconter pas mal d’histoires aussi, des anecdotes d’un autre temps dont les jeunes d’aujourd’hui n’en connaissent plus le moindre goût. Etonné et amusé était-il, car d’ordinaire le patient fait la grimace en pliant le genou, en tirant sur un muscle qui doit se refaire une santé après avoir été trituré durant l’intervention chirurgicale. Bref, nous avons bien ri, ça aide beaucoup à avancer.

Mais ce n’est pas de cela que je souhaitais parler. Cette nuit, j’avais du temps à passer et l’image de l’infirmier m’est revenue à l’esprit. Il débarquait très tôt entre cinq et six heures du matin dans la chambre encore obscure. Il était pressé. Je me souviens de son visage, le portrait craché de Picasso vers la fin de sa vie. Il se penchait sur moi, me saluait rapidement, sans un sourire puis, machinalement, plantait son aiguille dans le pli du bras. Tsac ! ou Tchak ! Je ne me souviens plus du petit bruit furtif. Puis, il aspirait. Cela durait quelques secondes, je le voyais filer en blouse blanche sans dire un mot. J’imagine qu’il avait bien d’autres visites. Des visites ! Si l’on peut appeler cela des visites ! Il maniait bien le pinceau, pardon, la seringue et devait réaliser pas mal de tableaux durant son heure d’artiste. Dès que la lumière du jour revenait, je pouvais admirer son œuvre. Des nuages d’un azur sombre, plus ou moins soutenu selon les endroits, évoquaient le mauvais temps ou la fin d’une journée passablement maussade. Certains nuages viraient au brun par endroits ce qui ajoutait une note plus automnale. Des ciels, exclusivement, que seule l’imagination féconde devine. Mon taciturne infirmier favori, habile comme un « pic assaut », imprimait sa période bleue sur la toile fine de mon pli situé entre bras et avant-bras.

Il m’a rappelé Angèle notre infirmière, et surtout piqurière du quartier Navaggia. Comme elle, il embrochait plus qu’il ne piquait. J’en ai reçu des coups d’aiguille dans les fesses durant mon enfance ! Dès que je la voyais arriver chez nous, comme un réflexe pavlovien, je m’imaginais que c’était pour me piquer. Je pestais et en voulais à toute la maisonnée. Angèle faisait bouillir ses aiguilles dans une casserole sur le trépied dans la cheminée. Elle plongeait ses doigts dans l’eau encore frémissante pour récupérer l’ensemble seringue/aiguille (séparés), quelqu’un éteignait la lumière, ma mère disait qu’elle était partie et Tchak un coup venu d’ailleurs, l’aiguille s’enfilait dans la fesse presque dans l’obscurité totale. Le plus souvent à la lumière d’une lampe qui venait de s’allumer soudain.
« Angèla m’infialza ! » criais-je dans ces moments précipités. (infialzà=passer l’aiguille dans un tissu pour le coudre ou embrocher)

C’est ce travail dans la pénombre qui a fait surgir mes souvenirs. Je me souviendrai longtemps de Picasso, non pour la souffrance, pour ses œuvres éphémères laissées dans le bleu de quatre matins d’un novembre qui s’éloigne dans le temps…

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