J’ignore ce qu’il m’a pris, il y a environ quinze ans, de me décider soudain à construire une tombe pour mon après vie. Juste en face de la place de l’église que j’ai tant fréquentée depuis tout petit. J’ai beaucoup plaisanté en creusant les fondations et en nivelant le terrain pour être bien à l’horizontale. Vous m’imaginez toute une éternité en position bancale ! Quel inconfort pour le restant de mes après jours ! Un temps, j’ai même songé à réaliser une sorte de tamis sur la cloison mitoyenne entre les deux compartiments comme au confessionnal. Sait-on jamais, par les nuits sombres, froides, battues par vent et par pluie, si le vague à l’âme m’invitait à faire conversation… Que de facéties, que de bêtises autour de cette tombe. Le maçon concepteur et réalisateur, mon ami Louis et Ferdinand son frère ont bien ri. C’était ma façon de leur faire oublier le labeur sous la chaleur accablante d’un mois de juin. Aucune tristesse, elle surviendra à point le jour venu… et puis le long fleuve pas tranquille reprendra son cours pour ceux qui restent.
Au fil des ans, ce qui n’était qu’une coquille rudimentaire en agglos nus a pris un sacré coup de vieux avec deux bouches béantes du plus mauvais effet. Il était temps d’achever cette œuvre imbécile puisque depuis lors, je suis moins enclin à dormir dans une trappe. Les cendres au vent ou le corps sous terre colleraient bien mieux au personnage que je suis. Tordu, dans mes moments de folie douce, je serais bien capable de la mettre en vente sur le Bon Coin… Mais bon, je n’irai pas jusque-là pour échapper au ridicule et aux critiques palabres qui s’en suivraient.
L’affaire n’est pas si anodine que cela. En prenant de l’âge, on envisage le grand virage, au bout du paysage c’est la voie de garage. Le parcours tire à sa fin, il faut songer au terme du voyage. Un tel final décrochage se présente à notre esprit comme une assignation à résidence définitive juste à quelques pas de chez soi. Il ne sera pas bien long l’ultime transport, un peu de sport pour les croquemorts et consorts. Ah si j’avais la faculté de leur dire une dernière inanité ! Ils pourraient pouffer, s’amuser, sur le chemin qui mène à la nécropole…
Alors, on imagine, on devine, on taquine. Heureux ceux qui croient partir aux cieux et ceux qui, tranquilles, envisagent le néant en toute sérénité. Qui sait ? Le plus torturé d’entre tous est l’agnostique. Son doute permanent reste coincé entre croire et savoir et le conduit à espérer bien plus qu’à croire. Sait-on jamais ? C’est sa devise.
Le temps passant, le risque grandit que la tombe devienne tombeau. Avec l’achèvement des travaux on frise la prémonition. Si d’aventure on croit aux signes, on est bien capable de s’inventer une maladie fatale. Les commentaires iraient bon train : « Tu as vu, il devait sentir l’écurie ! » « Il avait détecté quelque chose, un effluve de sapin. » Les plus malins choisiraient ce vocable bien plus proche du feu follet qu’odeur ou parfum.
Comme je ne crois pas aux signes, il ne me reste plus qu’à tenir bon pour qu’une fois close provisoirement en attendant mon tour, la petite porte se referme sur le vide pour un petit bout de temps encore. Ce serait fort agréable. Il me resterait petit avenir pour peaufiner puis apposer une épitaphe signifiant mon incompréhension du sens de la vie. Je n’ai fait que passer et je n’ai toujours pas compris pourquoi on passe. Passer puis repasser eut-été infiniment plus sympathique. Un aller, un retour mais pas plus pour éviter déraison.
Je plaisante, je plaisante, mais parfois… je balise en pensant à la dernière valise…
Chi piccatu d’andassini ! (Quel dommage de partir !)