PTH (Fin)

C’était une première dans ma vie, j’avais demandé à ma femme de m’acheter un cahier grand format pour prendre quelques notes durant mon séjour hospitalier. Je n’ai jamais pris de notes dans ma carrière professionnelle, j’ai toujours préféré écouter et regarder lors des réunions ou conférences. J’arrivais sans stylo et sans papier mais jamais en dilettante. Ici, je craignais que ma mémoire fût atteinte par l’anesthésie, sait-on jamais… Je savais que ce gros cahier serait un gaspillage. J’ai juste noirci une demi-page en diagonale droite ou gauche comme cela me venait. Les lignes ne me servent à rien. En outre, je suis bien incapable de me relire tant je tire sur les boucles et les jambages pour en faire des bouts de fil de fer sans aucune identité. Parfois grâce au contexte, je parviens à m’y retrouver mais pas à tous les coups. La lisibilité n’est pas mon fort comme si je cherchais à camoufler mes idées, inutile de vous pencher sur un de mes manuscrits vous n’y comprendriez que dalle.

Dans trois heures j’allais quitter la clinique pour rentrer chez moi. Depuis la veille, je cherchais une manière de remercier ce monde qui s’est gentiment affairé sur mon cas. J’ai ouvert le grand cahier sur la dernière page en le positionnant en mode paysage. Puis j’ai écrit comme à mon habitude. Sur la partie haute en lettres capitales par souci de lisibilité et être compris de tous : JE SUIS UN MISSIAU (GRAND-PÈRE) QUI ENTREVOIT LE BUT DE LA VIE MAIS GARDE AU FOND DE LUI UNE ÂME D’ENFANT, ALORS JE VOUS FAIS CE DESSIN. Je dessine un hibou perché sur une branche et leur dit : AVEC UN TEL SUIVI, AVEC UNE TELLE PRÉCISION DANS L’ORGANISATION DES SOINS  ON FINIT PAR CROIRE QU’IL EST IMPOSSIBLE DE MOURIR ICI. VOUS AVEZ ÉTÉS FORMIDABLES ET PLEINS D’HUMANITÉ. SOYEZ FIERS DE VOTRE MÉTIER. Puis j’ai fermé la bulle de sorte que je ne pouvais rien ajouter. Un peu plus loin, au pied de l’arbre, j’ai dessiné deux hiboux qui ont tout entendu, l’un disait : IL PARLE, MAIS IL OUBLIE DE LES REMERCIER. Et l’autre lui répond : NON, C’EST IMPLICITE ! J’ai signé, LE HIBOU DE LA CHAMBRE 239. J’ai posé la feuille détachée sur la tablette et rangé le cahier dans mon sac. Lorsque un infirmier est venu m’annoncer le départ, je lui ai tendu le papier, il l’a lu à mes côtés et a lâché un « Ha ! » de surprise, il m’a remercié et m’a dit : « Je vais l’afficher dans la salle ». Il a disparu sur le champ.

Les ambulanciers sont arrivés à l’heure et nous sommes partis sans autre cérémonie. Juste au passage devant la petite salle réservée aux infirmiers (ières), une dame en bleu m’a fait un au-revoir amical en agitant sa main en mode essuie-glace. Le temps était maussade. Des nuages lourds, gonflés, prêts à craquer se soutenaient fermement pour éviter de larguer la moindre averse sur mon visage pointé sur eux par la force de mon état, allongé sur le dos. J’ai trouvé cela sympa, nous avons tant conversé dans mes textes pour qu’ils m’épargnent une douche non méritée. Reconnaissants les nuages, nous aurons l’occasion de bavarder à nouveau… Le trajet fut de courte durée. Le chauffeur, un tout jeune ambulancier, se gara en épi dans la ruelle à sens unique. Il a tiré le brancard en mordant sur la route étroite, un véhicule est arrivé à très vive allure frôlant sa hanche au millimètre. Le jeune homme a lâché, non pas le brancard, mais un cri d’effroi. Tout aurait pu s’achever là pour lui comme pour moi qui étais à moitié sorti de l’ambulance. Dans l’ascenseur, le jeune homme s’est mis à trembler. Il purgeait sous nos yeux sa peur rétrospective. De l’hôpital à la maison, comme au cimetière, il n’y a qu’un pas, il suffit d’une mauvaise idée des choses de la vie…

Hier mon ami Gaëtan me faisait remarquer : « Quelle idée de parcourir la vie par monts et par vaux pour user les articulations ! » J’ai souri en pensant que désormais j’inverserai le trajet par vaux et par monts pour finir le chemin qu’il me reste à parcourir. J’espère rencontrer le plus tard possible le grand anesthésiste qui endort définitivement…

Voilà à quoi mène une prothèse totale de la hanche. Je vous en dirai des nouvelles dans quelques mois.

dog-boneNon Volpu, va rendre l’os au monsieur !

FIN.

PS. Je me suis amusé parce que je l’ai voulu ainsi mais n’allez pas croire que ce fut une partie de plaisir et cela reste de la chirurgie lourde avec ses incertitudes. Il suffit de regarder la vidéo d’une opération pour s’en convaincre. J’espère que l’autre hanche ne me fera pas une crise de jalousie car il n’est pas certain que j’y retourne une deuxième fois. Si c’est la cas, je traînerai mes vieux os jusqu’au soleil éternel non encore reconstruit en pièces détachées. Plus prosaïquement, je ne souhaite pas polluer davantage le sol de notre cimetière avec de la brocante. Bref, le temps me le dira, il est bien capable de me faire changer d’avis. Une pensée particulière au lecteur porteur de titane s’il y en a un parmi nous. Celui-là sait.

2 Comments

  1. Bonjour Simon, j ai pris beaucoup de plaisir â lire vos aventures « pth ». Je ferai lire vos textes à ma fille qui est infirmière en chirurgie orthopédique car je pense que votre vision de cette intervention l’intéressera et ce nest pas souvent qu ‘un patient se livre à ce genres exercices. Merci pour ce partage , bon rétablissement et bientôt vous pourrez à nouveau parcourir les chemins Corse.
    Claudine Bouvier (la tante de Bertrand et Stéphanie )

  2. Tout le monde y passe avec Simon, le vent, le ciel, les nuages, les invisibles dans le couloir qui attendent que vous franchissiez la ligne d’arrivée pour vous applaudir… Tout le monde!, je suis sure que même les  » durites », le brancard, ou le fauteuil ont continué a discuter , une fois Simon parti…
    je pense qu’eux aussi se sont bien amusés, il n’y a que Simon qui non content de redonner une âme aux gens est capable d’en donner une…. aux choses…
    intarissable!

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