Un jour j’écrivais ceci en guise de moralité :
« Laissons courir le poisson dans l’eau, c’est son affaire. Ne le mettons point dans un bocal.
Un enfant en apprentissage scolaire c’est une autre affaire, nager n’est pas inné pour lui, il apprend les gestes fondamentaux et les intègre, si possible… Cette autre affaire est notre affaire d’enseignant.«
« Laissons courir le poisson dans l’eau » est une expression certes connue mais je ne l’ai jamais autant entendue que dans la bouche d’un berger. La vie lui semblait compliquée, il s’en sortait en libérant le poisson dans l’eau. Une manière d’évacuer les problèmes mineurs de la vie ordinaire et de passer à autre chose. Jusqu’à la prochaine fois, bien évidemment.
Les soucis ne manquaient pas, surgissaient souvent, de sorte que de nombreux poissons étaient libérés dans les rivières du quotidien. Des fleuves largement alevinés.
Sortir le vairon du bocal pour que libre, il puisse d’aller au fil du ruisseau, était son expression libératrice. Une sorte de soulagement provisoire avant d’avoir à libérer le prochain. Un éternel recommencement, la vie n’est pas simple, disait-il.
Il avait cette faculté presque dérisoire d’évacuer son stress, cela fonctionnait à merveille sinon, il aurait explosé.
En observant les difficultés des enfants en galère dans une classe, pensant à l’affaire du berger, je me disais c’est une autre affaire, on ne peut laisser filer le poisson dans l’eau. Ce poisson là risquait de se noyer en l’offrant à l’onde folle.
Il faut lui apprendre à nager dans une piscine, le mécaniser aux gestes qui permettent d’avancer dans l’eau, sans couler, et cela est notre affaire d’enseignant.
J’avais cette curieuse manière d’établir des liens entre des choses complètement étrangères l’une à l’autre, c’est ainsi que je tissais une toile au risque d’égarer le commun des hommes.
Que va-t-il chercher toujours ?
Rien, je ne cherche rien, ces idées circulent, vont et viennent, parviennent jusqu’à moi comme une évidence à courir et couvrir la vie.
Une évidence c’est vite dit, dois-je reconnaître que je suis vraiment un être compliqué ?
Tordu ?
Tordu non ! Je ne pense pas !
Oui, laissons courir le poisson dans l’eau, c’est tellement plus simple…