Je n’ai jamais été un grand pèlerin.
Je n’ai jamais été celui qui va à la rencontre du passé, je vais au hasard et le temps vient à moi.
Il s’impose, me tamponne l’esprit, m’interpelle, alors je m’aventure un peu plus loin mais jamais bien loin.
Je n’ai pas d’intention première dans mes pérégrinations. C’est le moment qui me dicte l’histoire qui va se construire sous mes yeux.
La vieille maison qui dort me fait signe et me raconte ses secrets.
J’imagine que je découvre son histoire alors que je revisite la mienne en lui accordant d’autres libertés, d’autres visions.
Cette vieille bâtisse me parlerait presque :
– Viens, je vais te dire mes joies, je vais te dire mes peines !
Je l’écoute sagement. Je m’assois et revisite une vie.
Celle que je m’invente et qui me fait envie.
Je voyage dans le temps à quelques pas seulement d’ici. Il y a tant à voir et à imaginer en ces lieux abandonnés et si proches. Tant à vivre et revivre. Tant d’âmes envolées racontent tant de belles histoires si l’envie vous prend de les écouter.
De rêver seulement, pas de réciter une réalité.
Des vies d’hommes et de femmes dans l’ombre d’une chambre froide, dans l’obscurité d’un coin cuisine ou de salle à manger.
Des pieds meurtris de courir la campagne dans des chaussures crevées, mal adaptées malgré les grosses chaussettes de laine épaisse. Un verre vide posé sur la table, devenu opaque, tapissé de tanin comme un conduit de cheminée chargé de suie. Une dame sans âge, plutôt fatiguée, les cheveux « chignonés » très serrés, le sourire à peine esquissé, la tête penchée vers l’âtre, elle fouille du regard dans les braises à la recherche de ses pimpantes et jeunes années .
Ils sont deux. L’usure d’un labeur éreintant leur a fait oublier qu’un jour, ils avaient décidé de former un couple. Ils vivent désormais côte à côte, s’endorment très tôt le soir, l’un au bord de l’autre. Des vies anciennes, vieillies, boucanées par la fumée d’un âtre qui chauffe de trop près leurs jours d’hiver. Des corps usés, fourbus, sans qu’une plainte ne vienne trahir une quelconque lassitude.
Chez ces gens-là, on se laisse faire, on croit que c’est ainsi, une fatalité implacable s’est installée.
Rien, ils n’y peuvent rien. Ils sont là à finir une vie et s’en iront…
L’endroit est bucolique et fait rêver le touriste de passage armé d’un Nikon du dernier cri. Un appareil qui emprisonne l’autre face des choses. L’homme est alerte, joyeux, le visage tout rouge giflé par le soleil. Il n’a pas l’habitude de ces rayons brûlants. Il est content, il tient sa belle image. Le contraste est saisissant entre cet homme en short et baskets et ces vieux habitants couverts de la tête aux pieds. Juste des mains calleuses et un visage sculpté au burin parfois à la serpe.
Vers quel sentiment va-t-il basculer ? Ira-t-il jusqu’à cette intimité qu’il ne connaît pas ? Se contentera-t-il de cette coquille, de cette impression qui n’est rien sans ceux qui l’ont façonnée ?
Là bas, dans sa région parisienne, il montrera les images de ses vacances. Touriste, tout juste.
Je ne suis pas intrusif. Je ne suis pas indiscret en inventant ces vies que je n’ai pas connues. J’aime les imaginer. Elles m’aident à entretenir mes chers contrastes qui révèlent les choses de la vie.
La maison est vide. J’aime m’asseoir un instant avec ceux qui sont partis, écouter leur cri aphone qui s’adresse à moi. Des joies moins visibles que les peines, mais toujours surprenantes.
Des prunes ou des figues plus abondantes cette année et qui ont bien séché. A l’hiver, on s’en souviendra. Leur moelleux sera bien sucré et la mâche agréable à faire rouler la pâte de fruit entre langue et palais.
A affoler les papilles pour sublimer le temps qui passe :
– Elles sont bonnes cette année. Ça fait longtemps qu’on ne les a pas eues ainsi !
Et cet œuf, encore encoquillé, qui cuit sous la cendre ? Ça vous étonne ? Un bonheur simple qui remplit une vie avec la satisfaction d’avoir bien fait les choses. Un rien, un petit rien dont on sourit, que d’autres pensent dérisoire. Fondamental, pourtant.
Ce sont ces petits fruits du labeur, sans cesse renouvelés, qui font la vie.
Je vais et je viens par les chemins, sans but mais je sais que des gens m’attendent.
Ils ont laissé une âme pour effacer l’oubli.
Comme un homme errant au milieu de l’inconnu, je vais et je viens pour rencontrer des vies.