Retour en terre connue…

Encore un peu de temps, après la Toussaint, on devrait y aller tout droit.

On nous annonce des jours heureux, un hiver comme naguère.
La nouvelle est joyeuse : bientôt la renaissance de la cheminée, de l’éclairage à la chandelle…
Je me souviens du bout de bois gras pour éclairer les pages du manuel scolaire au risque de mettre le feu à la maison. Un bout de résineux coupé en lames, gorgé de résine, facilement igné.
Les nuits étaient froides. Il nous arrivait d’éteindre la cheminée, d’ouvrir une fenêtre et la trappe du grenier pour réaliser un appel d’air afin d’évacuer la fumée refoulée par le conduit dans la chaumière, les jours de vent mauvais. Gros pulls et canadiennes récupérées chez des gens plus fortunés, nous protégeaient de la froidure, il n’était point besoin de guerre en Ukraine, ou ailleurs, pour affronter ainsi les rigueurs hivernales. C’était une habitude, nous étions aguerris aux hivers neigeux et glacés… Sans thermomètre accroché dans un coin de la pièce, la température ressentie frisait sans doute les bas degrés car l’air frais venait se réfugier à l’abri de nos demeures comme s’il craignait la bise cinglante qui sifflait à ses trousses.

Ma chambre était ridiculement petite et minimaliste.
Une fenêtre face au lit et une vieille armoire sur le côté. L’encadrement disjoint, les vitres branlantes au mastic trop sec, éclaté par endroits, absent à d’autres, tout avait grand âge déjà. La chambre respirait l’air friquet qui s’infiltrait par tous ces passages offerts, entre menuiserie et maçonnerie fatiguées par le temps. Les jours de grand vent, j’entendais Eole gronder, siffler en se précipitant pour arriver en petite furie à mes oreilles et sur mes joues. Les persiennes intérieures, des panneaux pleins, résistaient tant bien que mal sur des gonds fatigués, grinçants mais encore opérationnels, tout juste pour éviter les claquements intempestifs et brutaux, heureusement.
La pluie s’invitait par ces voies connues des intempéries, que l’on occultait avec des pages de journaux, lorsqu’on y pensait, la météo était encore en gestation. Ces infiltrations pluviales, ces intrusions de vent nous semblaient subalternes. Le plus préoccupant c’était le toit avec ses vieilles tuiles devenues poreuses, parfois déplacées par les bourrasques. Ces éponges suintaient dans le grenier et les coulées venaient perler juste au-dessus de mon visage. Le plafond aux planches disjointes n’était d’aucun secours. L’eau connaissait le chemin et plongeait directement sur mon lit. Nous n’avions qu’une parade, les bassines en fer blanc galvanisé étaient installées à ces endroits stratégiques pour prévenir l’inondation. Nous avions droit à la musique lancinante, crispante de la goutte qui flopait sur un rythme endiablé, dirigé par l’intensité de l’averse devenue chef d’orchestre. Tantôt adagio, tantôt prestissimo et toujours exaspérissimo.
Habitué à cette musique de gros temps, je m’endormais dès que j’avais fait le tour de mes rêves éveillés.
Parfois, par négligence, nous laissions la bassine en place sans savoir où en était le niveau de l’eau récoltée. Les débordements nous obligeaient à gagner en urgence le grenier, en pleine nuit, pour changer les réceptacles.
Ces nuits d’incertitude nous rendaient inquiets et nous privaient de sommeil réparateur.
J’ai toujours eu l’impression que cette condition pourtant détestable, me plaisait au point de la vivre pleinement, intensément. Je me satisfaisais de mon sort, ce fut ma richesse et j’ose le dire, ma chance aussi. Du moins pour les sensations, la culture des contrastes et des plaisirs différés.

Un jour, j’en ai le souvenir précis, j’entamais une convalescence au sortir d’une maladie qui m’avait longtemps cloué au lit.
Deux semaines alité dans une luminosité incertaine entre ombre et lumière tamisée.
Je me sentais un peu mieux bien que passablement affaibli. Les jambes flageolaient, je n’ai pu faire quelques pas dans la chambre, je m’étais recouché.
C’était le début du printemps, l’après-midi était resplendissante. La fenêtre ouverte m’offrait « U Pinettu », dans une partie du cadre et un large pan de ciel bleu qui dominait l’encadrement.
Pas un nuage dans l’azur accueillant, seul un souffle léger, passablement réchauffé, venait réjouir mon visage de sa douce caresse.
C’était une renaissance, un sentiment de bonheur, un espoir nouveau.
La vie revenait me visiter, m’encourager à sourire aux jours qui passent.
Rien n’avait changé dans ma chambre, seule cette ouverture magique sur le paysage, pourtant familier, me donnait un sentiment de plénitude.
La maladie m’avait quitté, évadée par cette fenêtre salvatrice, j’étais assailli par l’envie soudaine de m’envoler aussi et fuir dans la beauté des choses.
J’étais un oiseau qui célébrait le retour des beaux jours, il ne manquait que les cui-cui et les gazouillements.
Je n’ai jamais oublié cette sensation et ces images qui me reviennent aujourd’hui comme on déverse un seau d’eau, en plein visage, pour tirer quelqu’un de sa léthargie.

Attendons l’hiver prochain pour revivre en direct ces sensations perdues…

Peut-être comprendrons nous la vraie face des choses.

Levie naguère :

Devant chez Reine, magasin qu’on appelait les « Galeries Lafayette ».

Je laisse aux lévianais le soin de reconnaître l’endroit…

6 Comments

  1. Encore un petit bijou que ce texte, une dentelle d’écriture !
    Quand on pense maintenant que certains chouine parce qu’on leur demande de baisser le chauffage d’un ou deux degrés…

    1. Comment dire ?
      Merci Al, cela me touche et me fait plaisir.
      Je prends cela comme un encouragement à poursuivre, j’y serai. 🙂

  2. Merci Simon pour ce retour à la source , les images et comparaisons défilent dans ma tête ; que nous étions heureux malgré nos modestes conditions de vie 💝, nos parents étaient à la hauteur , jamais une plainte plutôt cette joie naturelle d’oeuvrer afin de nous préparer à une vie meilleure . Chi sa .
    Un peu de nostalgie , mais la vie va ainsi …. Chi sera pé i nostri figlioli …..
    Je ne me lasse de vous lire , bonne
    continuation Simon, mes amitiés à Annie .😊

    1. Bonjour P,
      Merci pour ce message encourageant.
      Heureux ceux qui ont encore à l’esprit des images réjouissantes.
      Avec Annie, je vous souhaite une bonne journée et bon week-end qui suit.

  3. J’aime beaucoup vos textes (mais vous le savez). Ils me rappellent mon enfance où malgré des fenêtres qui fermaient bien, l’eau gelait dans le broc de ma chambre pendant les hivers rigoureux.
    J’en ai gardé une habitude à ne pas gaspiller malgré l’abondance….
    Alors quand je « les » vois à la télé porter un col roulé en septembre, que porteront-ils au coeur de l’hiver ? … triste com. et triste gouvernance….
    Pour faire positif, notre automne normand est agréable, c’est déjà ça de pris.
    Bonne semaine Simonu.
    E.

    1. Merci E.
      Vos retours sont toujours sympathiques et plaisants pour moi.
      Ici, nous avons eu une chute brutale des températures après la canicule puis les jours sont redevenus de saison.
      Je vous remercie de passer par ici.
      Bonne semaine 🙂

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