Asineddu.

« Asineddu » était un brave artisan qui s’était installé au village.

Un cordonnier dont la présence à Levie, très gros village de près de 3000 habitants, était capitale pour réparer les pneus de nos chaussures.
Hélas, il y avait déjà Monsieur Ange dont vous connaissez l’histoire, un homme secret, taciturne mais inlassable au labeur.
Sa réputation était faite, il n’était pas simple de se mesurer à sa grande notoriété.
Souvenez-vous, il inspectait les chaussures prêtes pour la casse, par paires jointes, pour juger sur pièce la possibilité d’une intervention utile. Il lui fallait juste quelques secondes pour se faire une idée avant d’expédier les brodequins dans une caisse sous sa table de travail, réservée à la collecte. Puis, dans la foulée, presque en même temps que la chute des godasses dans la boîte, il annonçait invariablement :
– La sétéman qui vient !
Vous avez compris « La semaine qui vient », que l’on soit un lundi ou un samedi, l’annonce était invariable.
C’était de la bonne ouvrage si l’on en jugeait par la satisfaction des villageois. Certes, il n’avait pas de concurrents pour comparer, mais ses réparations effectuées au cuir solide et à la double couture réalisée à la main, témoignaient de son art. Au minimum, si ce n’était par l’esthétique, l’essentiel était de bonne facture, la robustesse de son œuvre donnait entière satisfaction aux travailleurs des champs et des forêts.

« Asineddu », c’était son sobriquet, avait installé son échoppe dans le quartier voisin, l’Olmiccia. Un homme affable aussi, assez discret et travailleur.
Par curiosité ou par proximité, de nombreux clients avaient tenté l’aventure de la nouvelle clinique des pompes. Non pas funèbres mais assez rapidement tristounettes. L’homme au béret n’avait pas, à ce que l’on disait, l’art consommé de M. Ange et ne tarda pas à faire l’objet de quolibets.
Asineddu ! Asineddu ! s’écriaient les déçus de la chaussure mal réparée, des coutures approximatives qui lâchaient prise assez rapidement.
J’habitais à quelques dizaines de mètres de chez lui lorsqu’il s’installa dans le coin, et toutes ces moqueries, railleries me rendaient triste.
Voir un homme de bonne volonté baisser la tête en se promenant dans son quartier n’était pas attitude réjouissante.
Si mes souvenirs sont solides, je crois qu’il a, au fil du temps, réussi à surmonter ce handicap en fidélisant certains clients.

Nul n’est né appris, il faut du temps pour grimper dans l’estime des autres et s’y installer durablement…

Asineddu, petit âne.
C’était un jour d’automne.

4 Comments

    1. En puisant au fond de ma mémoire, en puisant sans trop d’efforts, des souvenirs remontent encore à la surface, il ne me reste plus qu’à les narrer en me replongeant dans les anciennes années.
      Merci Al, je crois que j’aurais du mal à vous décevoir même en y mettant toute mon âme 😉
      J’espère ne jamais y parvenir !
      Pourquoi ?
      Vous êtes l’âme des commentaires !
      Bonne après-midi.

  1. Les entreprises funéraires devraient changer leurs devantures. C’est joli « pompes tristounettes », ça dédramatise un peu le contexte……….
    Belle semaine Simon. Je sais, je passe peu par ici, mais je like là-bas 😉

    1. Merci Gibu, je sais que vous avez l’œil…
      Merci pour « Pompes tristounettes », c’est amusant et votre réaction m’a fait sourire, je n’imaginais pas ce détournement.
      Bonne semaine Gibu ! 🙂

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