Je les voyais dès le matin devant la grille de l’école en petit groupe.
Elles étaient femmes d’ingénieurs ou de cadres supérieurs, contentes de retrouver les copines qui ne sont pas toujours les meilleures conseillères.
Elles avaient besoin, les unes comme les autres, de passer cette petite heure du matin à « psychologiser », à décrypter des problèmes même lorsqu’il n’y en avait pas.
Elles nourrissaient leurs tourments pour les entretenir, parfois pour meubler leur vide et leur oisiveté.
Papotage bien mené, les mots choisis, la logique impeccable, elles avaient fait des études supérieures, il fallait bien que ça serve à quelque chose.
Elles se faisaient du souci pour leur enfant que les maîtresses disaient en difficulté. Elles s’inquiétaient pour de faux car elles ne croyaient pas un mot qui sortait de la bouche de l’enseignante. Leurs gamins poussés à l’extrême préparaient dès la maternelle, sans s’en douter, leur future grande école. Leur maturité affective en prenait un coup lorsque obligés d’approcher les jeux « intelligents » pour flatter l’égo de maman, ils se montraient maladroits aux jeux de billes ou pour sauter à la corde dans la cour de l’école.
J’en voyais certains, ahuris, les yeux qui regardaient sans voir, se demandant ce qu’ils faisaient encore là à être inspectés. Ces enfants n’avaient rien. Ils avaient simplement besoin de vivre leur enfance sans se projeter dans un futur dont ils n’avaient aucune conscience. Ils devenaient petits singes savants totalement inadaptés à une scolarité paisible, victimes de « problèmes d’élevage » dans la famille.
C’était beaucoup plus parlant qu’un long discours.
Elles avaient pris sous leur coupe une jeune femme de ménage dont le petit garçon présentait quelques difficultés, réussissant à la contaminer aussi. Une jeune portugaise qui n’avait pas le bagage de ces dames et naviguait à contre-courant. Elle se méfiait des enseignants les prenant pour responsables des maux de son enfant. Fragile de nature, elle aggravait son cas comme celui de son petit garçon en revenant sans cesse à la charge. On lui avait préparé ses tirades pour « qu’elle ne se laisse pas faire » et elle faisait beaucoup de bêtises croyant voler au secours de son enfant. Ce dernier, totalement étouffé, suffoquait dans un bain scolaire beaucoup trop chaud pour lui. Avec ce genre de personnage qui n’entend que ce qu’il souhaite entendre, il est presque recommandé de ne rien faire et très peu dire. Elle demandait des entretiens sans arrêt, à la psy, à la maîtresse, au médecin scolaire et chacun y allait de son explication. Elle ne retenait que ce qui lui convenait. J’avais adopté la méthode radicale, en lui signifiant que je ne répondrai plus à ses bombardements de questions destinées à entretenir son anxiété et par ricochet celle de son fils. Je l’ai sentie désemparée, il était urgent de la mettre au pied du mur. Cette position qui peut paraître brutale et inhumaine est parfois le seul recours avec des gens qui n’entendent pas et qui abusent de l’écoute des autres. Inconsciente de son état, il était hors de question d’aller consulter pour elle en un seul et même lieu, il lui fallait de la variété dans les avis, ne croyant personne. Ce n’est qu’en relâchant la pression sur son « bébé » qu’elle lui a laissé la possibilité de grandir.
Les femmes hautement diplômées n’étaient pas faciles à gérer. Elles savaient tout, avaient tout compris mais ne voyaient pas plus loin que le bout de leur nez. Elles avaient loisir pour faire et défaire la vie de leur enfant et de celui des autres. Elles acceptaient bien volontiers l’aide mais ne vous accordait aucune confiance. C’était une attitude désagréable, nos entretiens étaient pipés car le vrai faux problème de leur enfant justifiait qu’elles le surprotègent… pour exister aussi. Ne rien faire de ses journées n’est pas une mince affaire.
L’une d’entre-elles, une allemande mariée à un cadre supérieur accompagnait son fils à l’école comme on entraîne un jeune poulain sur la piste annexe d’un hippodrome. Il était tout fou, complètement immature. Il gambadait devant, regimbant trois ou quatre bons coups face à la grille de la cour, se mettant tantôt au galop, tantôt au trot. Très volubile et visible à un kilomètre, cette maman colorée vivait dans l’ostentation, me saluait de très loin. Dès qu’elle me voyait arriver au bout du chemin qui conduisait à l’école, elle m’adressait deux ou trois « Hello ! » presque impatiente de me sauter dessus. Pour m’abreuver de futilités, vous l’avez bien compris. Elle était à la fois attachante, amusante et usante car on pédalait dans le vide sans chaîne de transmission. Ces problèmes existent aussi, il faut bien les prendre en compte, pour notre fonction ce fut presque du luxe. Aucune mesure avec les familles et enfants en réelle difficulté.
Fatigué de rencontrer tant de problèmes d’adultes qui donnaient de la fièvre aux enfants, quasiment conduits vers la névrose, je cherchais un moyen autre que pédagogique pour me sortir de cette impasse. Vous ne pouvez pas imaginer comme elles sont tenaces et aspirantes lorsqu’elles s’y mettent, les dames savantes, surprotectrices de leur progéniture !
Dès que je sentais poindre un peu de confiance, sur le mode de la presque plaisanterie, je leur suggérais d’aller faire le grand tour. Feignant la boutade, je leur disais : « Vous êtes si proche du grand canal du château de Versailles, regroupez-vous et faites le grand tour. D’abord une fois et puis deux, votre corps perclus de bonne fatigue mettra votre esprit en paix. Vous ne verrez plus les problèmes de votre enfant puisqu’il n’en a pas ou si peu… » Cet exercice aère le cerveau, empêchant l’embouteillage des mauvaises pensées et générant bonne fatigue.
Certaines s’y sont mises. Elles arrivaient même de justesse à la sortie de onze heures trente, dégoulinant de sueur et surtout pressées de rentrer chez elles sans bavardages inutiles et sans aspirer fumée de cigarette devant la grille.
Si on l’écoute, le corps est capable de régler la moitié des problèmes. C’est lui qui les porte. Un bon jogging vaut mieux que bavarding.
Pour moi, ce sera un bon zapping* (lire tsapping).
Le printemps n’est plus très loin, le jardin attend et rend beaucoup de services aux gens qui s’épuisent en bavardages…
*piocher=zappà, d’où zapping.
Phonétique : lire « tsapping » et non « zapping », c’est du corse de dérision.
Complètement d’accord, une bonne fatigue physique aplanit bien des problèmes.
Le printemps, c’est vite dit, fait froid encore mais on sent que le jardinier trépigne d’impatience 😉
Il y a tant à faire dans le jardin en visant le printemps 😉
Encore un très bon texte qui m’a fait sourire sur bien des points
Bonne soirée Simon 🙂
Merci Gys 🙂