Si je devais tenter une définition, je dirais que l’écrivant est à l’écrivain ce que le supposant est au savant.
Il écrit au gré du vent sans se soucier s’il sera lu et compris.
Il ne cherche ni gloire ni reconnaissance, il s’amuse à dire en écrivant.
Il n’a, généralement, d’autre message à faire passer que des mais sages, des choses incertaines pour les lecteurs et certaines pour lui.
Evidemment, comme tout être humain, il espère rencontrer des sourires au coin d’un texte, et d’autres encore au détour d’une idée, d’une expression qui fait mouche, soudain.
Si l’appétit vient en mangeant, l’envie d’écrire se renforce en écrivant, sans doute.
Il y a longtemps que je me promène sur le chemin de l’écrit, j’ai parcouru bien plus de kilomètres en couchant des mots en parchemin qu’en déambulant par chemins…
Alors voici le fil.
le fil de la vie, comme le fil de la vierge d’une épeire, largué au petit matin entre cistes et genêts, taquine les aléas. Un pont fragile et ténu jeté dans le hasard par des bébés araignées au seuil de leur vie, jouant aux funambules. Une soie offerte au souffle du vent matinal, un premier coup de dé.
Un passage sans retour, rencontrer les épreuves et le vécu qui impriment ou imposent la vision des choses. Les sourires, les douleurs pressent leur estampille sur la peau de la vie…
J’avais cinq ans lorsque ma petite sœur Antoinette s’avança sur un mauvais fil. Elle avait dix-huit mois lorsqu’elle fut emportée par une cholérine. Une forte déshydratation causée par une diarrhée intense nous l’enlevait sans prévenir. Comme un signe venu d’ailleurs, presque jour pour jour, mon petit frère Jules est décédé accidentellement. Je le tenais par la main en descendant l’escalier du couloir qui menait vers la rue. Il a heurté sa tempe contre la rampe. Un mouvement brusque, le choc contre le fer forgé et puis plus rien. Je n’étais pas seul, ma mère était derrière moi… le drame. Il avait dix-sept mois, c’était un vingt-six septembre l’année d’après.
L’année suivante, je fus trainé sur une cinquantaine de mètres sous une Rosalie décapotable. Accroché par le bras, à moitié scalpé. Je ne dus mon salut qu’au courage de villageois qui ont stoppé le véhicule et m’ont sorti de ce mauvais pas, alors que le chauffeur, en totale panique, avait perdu les pédales et m’aurait entrainé bien plus loin sans cette intervention.
A plusieurs reprises, on me promit le cimetière. Assailli par toutes les maladies de l’époque, j’étais, parait-il, condamné au trépas. Je suis encore bien vivant.
Mon fil est le cimetière. C’est mon champ de vie. Un endroit qui fourmille de souvenirs.
Tout a commencé avec les obsèques de mon frère et de ma sœur. On m’a gardé éloigné, je n’ai pas assisté aux funérailles.
Chopé par l’inconscient, ce refoulement va rebondir inlassablement.
Dès l’âge de dix ans, je passais mes après-midis d’été au cimetière. Non pour me recueillir, mais attiré par le chant des grillons. Une diversion peut-être.
Aux heures les plus chaudes, je m’étendais dans les herbes hautes, le regard pointé vers les terriers, l’oreille contre l’entrée pour écouter les bruits de ménage dans la cuisine des cricris. Avec une longue paille, je les titillais dans leur antre pour les faire sortir. Je les voyais surgir très en colère d’être ainsi dérangés. J’ignorais qui était mâle et qui était femelle mais je constatais bien la différence de couleur et de taille. Ces entrées et sorties toujours précipitées m’amusaient beaucoup… Il me semblait qu’après la surprise de me voir si grand, étendu dans l’herbe, chaque grillon regagnait précipitamment son refuge.
A dix-sept ans, je me formais aux contrastes de la vie en m’aventurant le soir après minuit devant la grille du cimetière, seul face au frisson. Des peurs inventées, provoquées pour torturer l’esprit et faire frémir le corps. Des montées d’adrénaline sous la lune qui voulait bien jouer avec moi. Ce rôle inquiétant lui convenait parfaitement, elle invitait le vent et les nuages à jouer avec nous. J’étais perdu entre ciel et terre, entre mystère et réalité, seul au monde. Une manière toute personnelle de sentir la fragilité de la vie avant qu’elle ne décide de l’issue. (Voir le texte « Balade en novembre après minuit »).
A trente-quatre ans, je passais une partie de la nuit, de minuit à trois heures du matin, assis sur la tombe de mon père la veille de mon retour sur le continent, à remonter le temps. C’était une manière de m’imprégner de l’ici, puissamment, si d’aventure, je devais finir de l’autre côté de la méditerranée. Je ne voulais perdre aucune miette de ma préférence, en cherchant à maîtriser ce que ma volonté pouvait emmagasiner…
Puis, il m’est arrivé de parcourir les tombes, mes textes sont nombreux, pour imaginer des épitaphes. Les inventer comme un jeu de philosophie pour parler de la vie. Des condensés jetés au vent en espérant qu’un quidam s’y pose un instant. Eveiller sa manière de communier, de rêver sur ce qu’a pu être la pensée d’un autre. Des mots qui ricochent perpétuellement pour prolonger en secret un souffle qui a vécu.
Je ne suis pas une personne lugubre, ni pessimiste, ni à caractère morbide (morbide signifie malade et non mortifère) … la mort est mon fil de vie dont le miroir est le cimetière. Un filigrane qui m’impose l’épicurisme, l’ici et maintenant et me rappelle que demain n’existe pas.
Et mon sempiternel aphorisme d’agnostique me serine plus fort encore : celui qui a intégré la notion de temps ne se préoccupe plus du sens de la vie et se passe de l’idée de dieu.
Le bout de fil qui reste, toujours incertain, est le plus précieux, le plus intense des épilogues.
La vie est un fil,
une soie qui joue au vent.
La brise et les alizés la bercent,
le siroco l’assoupit
la bise la cingle
le mistral la ballote
la tramontane et l’autan
lui chantent la rose des vents.
Une bourrasque, un blizzard, un typhon…
il ne faut pas croire,
un souffle léger, un zéphyr,
suffisent parfois
pour filer sous le vent.
La vie ne tient qu’à un fil
qui rassure ou inquiète,
une voie incertaine
qui ondule à tous vents…
Un poème d’un genre nouveau, sans rime et cadencé sur le rythme du 2, 6, 5, 4 vers, avec le même mot à chaque fin de strophe, mot précédé d’un déterminant différent, qui à l’instar d’un sonnet se nommera un jour le Simonet.
Un clin d’œil au lecteur.
Sacré Simonu, toujours l’art de manier l’émotion et l’humour, le sérieux et la fantaisie.
C’est pour cela que vos pages sont si pleines de vie et de sourires.
En voici un alors 🙂
Merci sacrée Al, toujours un bon mot pour l’écrivant que je suis.
Vous ne pouvez imaginer le plaisir de lire un tel commentaire.
Bonne soirée l’amie Al ! 😉
J’ai longtemps fréquenté les cimetières. Ado, aller sur la tombe de mes ancêtres était l’une de mes promenades préférées. Lorsque mon époux est parti, j’allais passer de longues minutes voire des heures « auprès » de lui……….. Maintenant j’aime toujours les cimetières, pour leurs épitaphes et ce qu’ils renvoient au niveau des émotions, mais paradoxalement je n’aime plus les miens et je ne m’y rends que pour leur raconter, de loin en loin……….
très joli post, comme d’habitude Simonu
J’ai vu que vous aviez lu « Epitaphes » inventées bien entendu.
Merci Hélène d’être encore là.
Bonne soirée. 🙂
Bien lu.
J’aime beaucoup.
Pardonnez le peu de commentaires, mais comment dire … « c’est un peu la croix et la bannière »… mais je lis tout sans problème, c’est déjà ça.
Bon lundi, bonne semaine…
Et pour moi, la bannière et la croix, le « j’aime » est inactif.
Je vais finir par perdre mes lecteurs, mais que faire ? je ne sais comment procéder.
Ils pourraient proposer un profil minimal avec l’essentiel pour communiquer.
Mais bon, sans doute s’en fichent-ils des pauvres ignorants…
Même si je me retrouve seul, aucun souci, je n’ai pas l’intention de me suicider, j’aime trop la vie 🙂
Bonne journée, chat qui erre…