Il fut un temps…
Il fut un temps, le carpe diem se déroulait au gré des rencontres sans qu’il soit besoin d’artifices. Les choses allaient de soi comme une évidence qui ne se commente pas.
Voici quatre anecdotes.
Les Colas, je ne les connaissais pas. Venus du continent, ils avaient construit une maison dans la vallée d’Archigna, suivant un mode de vie d’un autre temps.
C’était un jour de période pascale, le temps était brumeux, un peu frisquet. Ma maison perdue dans le maquis se situait à deux ou trois cents mètres du village par un raccourci à travers maquis, aujourd’hui à deux kilomètres par la route.
Le soir venait de tomber, je me suis rendu chez l’ami Louis au sommet de la colline, à une encablure de ma demeure, pas plus.
L’atmosphère y était déjà chaude et se surchauffa lorsque l’ami me vit arriver. Il leva les bras au ciel :
– Que Dieu te bénisse !
– Chut ! Parle plus bas, il ne me connait pas !
Nous enchaînâmes les « tchin-tchin », c’était la meilleure période pour déguster le vin qu’il faisait lui même. Durant l’été, pas la même histoire, l’acidité prenait le pas sur le sucré et les tournées plus difficiles à suivre. Quoique, les deux premiers verres avalés, on ne faisait plus aucune différence…
Les Colas étaient là là là là, les joues bien rouges et le verbe chaud pour m’accueillir chaleureusement, alors que nous nous découvrions. Euphorie oblige !
Ce fut une rencontre fort agréable, le temps passa si vite que sur le coup de vingt-trois heures bien frappées, je lançai à la cantonade : « Allez tous chez moi ! »
Nous dévalâmes la pente qui mène en Aratasca, à la queue leu leu, en zigzagant à travers maquis, chantant et dérangeant toutes les bestioles qui sommeillaient déjà sur notre passage. Il n’y avait pas plus heureux que nous, et pas plus habile, non plus, à contourner bruyères et genêts, à éviter les ronciers au meilleur de leurs piquants.
Rompu à la cuisine intuitive et de guerre, je n’eus aucun mal, avec madame Colas fine cuisinière aussi, à nous concocter de quoi étouffer les boissons.
La bonne humeur se prolongea jusqu’à cinq heures du matin…
La fatigue cria sommeil et tout ce beau monde s’égailla..
Un autre jour pascal, par temps brumeux et de crachin, je vis débarquer des inconnus qui se présentèrent ainsi :
– Vos amis versaillais nous ont conseillé de passer vous voir.
Nous étions dans un état proche du tristounet à défaut de l’Ohio et cela nous requinqua presque illico.
Après quelques apéros qu’ils semblaient fortement apprécier, me voilà en cuisine avec la dame qui venait de cueillir des girolles dans l’après-midi.
A table, ce fut un enchantement, que des mots bijoux et colorés à l’adresse du monde entier !
Vers minuit, sans mesurer l’état de « l’invité » qui devait franchir allègrement le mètre quatre-vingt-dix, que m’a-t-il pris de le diriger vers le jardin pour visiter les petits pois. Le terrain est pentu, l’homme tenait à peine debout, je l’ai rattrapé par le col alors qu’il penchait dangereusement et menaçait de piquer dans le ravin. Je lui fis faire volte face et nous retournâmes à la maison sans qu’il sache qu’il était sorti. Aucun souvenir du jardin, il était dans les vignes du seigneur.
Les deux autres anecdotes sont estivales.
Un jour de mois d’août, j’entamais un jambon sur la terrasse lorsque deux jeunes se présentèrent devant mon entrée grillagée.
– Nous venons de la part de votre fils que nous avons rencontré en Laponie, il nous a demandé de passer vous voir.
Il était vingt heures à peu près, je leur ai demandé si ça leur convenait de rester dîner avec nous.
L’affaire fut conclue sur le champ et les deux jeunes enseignants, nous l’étions aussi, toujours en activité, ont été enchantés par la soirée à la belle étoile. Nous avons célébré la vie dans ses meilleurs recoins et cela fit office de « bon vivre », de « la vie est belle » si j’en juge par la carte reçue quelques jours plus tard. Ils déclaraient avoir fait un sacré bond dans la philosovie.
La dernière anecdote est de la même veine.
Une remise de fourragères à des militaires se déroulait pour la première fois au village.
On nous avait demandé d’accueillir un soldat à diner avec nous.
Je m’étais rendu sur la place de l’église pour l’invitation et là, j’ai été surpris de constater que les conscrits étaient alignés comme des veaux à vendre pendant que les villageois faisaient leur choix à l’unité. Un truc pas très sympa.
J’ai attendu discrètement et lorsqu’il n’en restait plus que trois, je leur ai demandé s’ils voulaient bien venir chez moi, ensemble. Evidemment, c’était mieux que le un par un, ils n’ont pas hésité une seule seconde.
La soirée s’est déroulée joyeusement sous la voute céleste, les jeunes appelés étaient aux anges et même plus, ils survolaient les jardins de l’Eden sans sortir de table. Une ambiance très sympathique jusqu’à ce qu’ils réalisent qu’ils étaient de garde après minuit.
Nous avions allègrement franchi l’après minuit. Je les ai sentis inquiets. Le camp était installé à quelques centaines de mètres au-dessus de ma maison dans une chênaie.
– Que voulez-vous garder dans un endroit si calme ? Les chênes ? A part les glands, rien à chiper !
Ils ont bien ri mais ont filé illico en découvrant l’heure si tardive.
J’ignore à quel ordre, il furent rappelés, peut-être se souviennent-ils encore de cette mémorable soirée. Si c’est le cas, ils doivent, dans leur coin de pays, narrer cette improbable veillée si loin de chez eux.
Hélas, ils ont peu de chances de tomber sur ce passage et certains sont déjà partis au pays des rêves perdus… Voyez-vous ce temps qui passe…
Hier, tout était neuf par ici.
Aujourd’hui, que du vieux, je raconte ma vie mais le carpe diem continue à rôder dans les parages…
Fais gaffe Simonu, il va filer !
Je vous le concède aisément, Bacchus ne s’ennuyait jamais par ici, il aurait même élu domicile si je l’avais autorisé à s’installer.
Restez joyeux ! Il n’y a pas mieux à faire ! 😉
Ciels ! C’est mardi en Aratasquie !
Sympa 🙂 Le message est passé, quand on est perdu pas loin de Levi, prendre le chemin de l’Aratasca, c’est comme au paradis 🙂
Par contre je ne bois que de l’eau, donc je ne sais pas si je serais admise si d’aventure je me perdais 😉
Ah ces ciels, Simonu!
J’ai connu des anciens qui disaient « l’eau emporte les ponts » 🙂