Aujourd’hui c’était jour d’amitié dans la pure tradition nustrale (de chez nous).
J’étais levé à six heures pour aller aux poules. La rousse en a fait des siennes de très bon matin. Je ne sais ce qu’il lui a pris, elle a piqué une de ces colères folles, vous ne pouvez imaginer à quel point. Elle n’a pas décoléré tout le temps que je suis resté près du poulailler. Il fallait l’entendre cotcotedéquer comme une hystérique. Mademoiselle, puisqu’elle est encore toute jeunette, rouspétait après les autres cocottes. Elle avait squatté le vieux composteur resté vide. Elle pédalait dans les feuilles sèches du figuier que j’avais fourrées là-dessous pour qu’elles fassent terreau. Point du tout, elles étaient restées telles que je les avais entreposées comme momifiées. Francesca, ma petite fille, avait baptisé roussette «Friandise » dès son arrivée, il a deux jours. Friandise ! Je vous assure que ce n’est pas un cadeau, ni du gâteau, quelle coléreuse et quelle prétentieuse ! Il n’y a qu’elle qui existe ! Remarquez qu’elle a été la première à pondre dès son arrivée, n’importe où d’ailleurs, pour marquer son territoire. Elle avait posé son œuf au beau milieu de l’enclos, sans vergogne. Ça promet ! Les autres, Neige, la blanche Sussex, les noires Harco qui n’ont pas encore de nom et la Limousine grise perlée jouaient les indifférentes. Elles picoraient à droite, à gauche et faisaient semblant de l’ignorer. Lorsqu’une des noires au cou à reflets irisés s’est aventurée du côté du composteur pour voir ce que trafiquait Friandise, elle a vite compris que la curiosité est un vilain défaut. Elle a reçu une volée de bois vert cacophonique et quelques coups de bec pour lui signifier qu’il vaut mieux s’occuper de ses affaires plutôt que s’intéresser aux occupations des autres. Basta ! J’en ai pris pour mon grade aussi en essayant de la chasser pour éviter qu’elle ponde hors du poulailler. Je fais ce que je veux ! M’a-t-elle balancé en pleine face, alors que je me penchais pour voir ce qu’elle terrassait à gratte que je te gratte.
C’est à ce moment, aux premiers rayons de soleil que je vis arriver Louis au bout du sentier. Nous devions boucher les trous du chemin qui mène à ma demeure en creusant dans le talus ou plutôt en récupérant toute la terre qui s’était effondrée. Nous avons transporté une trentaine de brouettes. Cela tiendra quelques mois et nous recommencerons.
J’avais préparé un ragout original. Du jarret de veau, des olives vertes, du chou, des carottes, des petits pois, de la panzetta et un peu de chorizo pour corser le tout. Et pour donner une touche exotique, je n’ai pas lésiné sur le curry.
En dessert, j’avais préparé une sorte de fiadone (œufs, bruccio frais, sucre, zest de citron) arrosé de Grand Marnier cordon rouge. Je ne vous dis pas le trajet de nos pensées.
La veille, je venais de lire dans un manuel scolaire : « A capretta bianca è a farina castagnina » (La chevrette blanche ‘Par ici en Alta Rocca, on dit u caprettu, le chevreau ou cabri’, et la farine de châtaigne) pour apprendre le corse aux jeunes enfants. Quelle tristesse, quelle maladresse, quelle folie ! Le corse s’apprend dans les chaumières ou ne s’apprend pas. De tous ceux qui ont étudié l’anglais à l’école, nombreux sont ceux qui ne se souviennent de rien. Autant dire qu’ils n’ont rien appris. C’est du folklore et peine perdue.
Enfants, nous parlions corse dans nos familles, on nous interdisait de communiquer en langage nustrale à la récré. Croyez-vous que l’on puisse brider les esprits, empêcher de penser ? Si l’on croit que l’apprentissage du corse à l’école sauvera notre langue, on se met le doigt dans l’œil. C’est pure velléité ou se donner bonne conscience et rien d’autre.
Aujourd’hui comme chaque jour, c’était jour de fête. Nous avons parlé, nous avons pensé, nous nous sommes aidés et nous avons mangé comme on l’a toujours fait dans nos chaumières. Personne ne nous a imposé quoi que ce soit. Campà à l’usu corsu hè a noscia minera di campà è nimu ci farà cambià ! Le parler corse n’est pas un théorème, on le vit ou pas, ce n’est pas en repassant des leçons que l’on devient quelqu’un d’ici. Une culture se vit et se pratique, elle ne se décrète pas. Si ça rassure, pourquoi pas la chatouiller à l’école ! Chatouillons !
La Sussex (blanche)
Ah ! C’est ça les giroflées !
Attendons les graines !
Les « Harco »
La grise perlée.
Cliquez sur les images
Je ne sais rien du corse au delà de ce que tu as écrit sur ce blog et des émotions que me procurent les voix des chanteurs corses de mon enfance et d’aujourd’hui.
Comme dans ma bourgade à quelques dizaines de km de la région parisienne on ne parlait que français je n’ai pas connu cette situation que tu décris. Reviennent parfois et cependant de plus en plus fréquemment (l’âge probablement) quelques rares expressions locales et un accent proche de celui de la Picardie et du Nord.
Reste que j’atteste de l’illusion de l’apprentissage en milieu scolaire des langues. Elles sont faites de chair et de sentiments, de chaleur et de froid vécus ensemble, d’émotions et de partages et aussi de se toucher, fut-ce avec les yeux seulement.
L’école n’est pas dans ce registre. Elle fait au mieux, d’autres choses, mais pas le verbe du rêve.
A te relire.