Cinquante ans déjà.

En fouillant dans mes affaires, j’ai retrouvé une lettre.
Une lettre, c’est personnel et son contenu doit rester confidentiel mais parfois, il est bon de se remémorer les rapports entre enseignants et parents.
J’étais remplaçant dans une école d’application au cœur de Versailles.
Une année très riche car nous faisions dans cette classe une recherche en mathématiques avec un professeur de maths, un docteur en psychopédagogie de l’Ecole Normale de Versailles pour la création d’un manuel scolaire destiné au Cours Elémentaire.
Ce fut une bénédiction dans ma carrière, j’ai beaucoup appris au contact de ces enseignants de pointe même si mes collègues formateurs de Vauban n’étaient pas trop ouverts au novice intrus que j’étais comme s’ils avaient peur de divulguer leur enseignement.
C’étaient des chercheurs formateurs mais seulement avec les apprentis normaliens de passage dans leur classe, pour des stages plusieurs fois reconduits durant leur formation.

Je débarquais dans un monde nouveau, totalement ignorant de la pratique de cette école formatrice d’instituteurs et trices.
Curieusement, encore naïf mais heureux de me trouver parmi les grands, je n’ai pas tremblé. Je me suis plongé dans l’ouvrage comme un chevronné que je n’étais pas et déjà, alors que tout était codé, je me lançais dans un enseignement personnel qui ne ressemblait en rien à celui couramment pratiqué.
Je fabriquais mes méthodes.
Je ne savais rien et pourtant j’enseignais les disciplines courantes, grammaire et Cie, à ma manière.
Je me construisais sur le tas puisque bombardé là sans aucune formation.
Le directeur, un homme né pour diriger, veillait.
Il me rencontrait le matin, donnait l’air de bavarder avec moi alors qu’il me sondait, toujours dans la bienveillance. Il tenait parfaitement son monde enseignant, j’avais l’impression que rien de grave ne pouvait arriver dans ce sanctuaire.

Ce fut une année magnifique, j’en suis sorti grandi et fier de m’être frotté à l’élite enseignante.

C’était la fin de l’année, j’allais partir vers une autre mission bien plus risquée pour moi.
Mandaté, tout seul, sans formation, statuts en mains mais sans connaissance du contenu, pour installer le premier groupe d’aide psychopédagogique dans les Yvelines.
L’inspecteur, aussi ignorant que moi sur la « chose », découvrait la substance à partir de mes remarques sur le terrain.
L’année suivante, une formation du personnel débutait à l’Ecole Normale de Versailles. J’avais été convié à cette formation alors que je ne répondais à aucun critère exigé.

Voici, en fin d’année, la lettre que je recevais d’une mère d’élève, ce fut une volée d’eau bénite :

Cher monsieur,

Des obligations imprévues m’ont obligée à partir tôt, ce matin, pour Paris…
Je n’ai donc pu vous dire aurevoir et vous remercier…
Soyez sûr que nous avons été vraiment très heureux de cette année scolaire pour Luc à tous points de vue, autant sur le plan de la curiosité intellectuelle, de la rigueur dans la recherche, du souci de bien faire son travail et d’y revenir si l’on n’a pas compris, que sur le plan des bonnes relations avec vous et ses camarades. C’est la première année qu’il avait un maître et nous l’avons senti plus solide, plus « fonceur ».
Nous vous remercions donc pour la joie d’apprendre qu’il a vraiment vécue dans votre classe, pour votre participation à leurs jeux qui vous a rendu très proche d’eux, pour tout le mal que vous vous êtes donné car vos journées devaient être bien longues et fatigantes…
Nous vous redisons donc toute notre reconnaissance, notre espoir de vous revoir encore l’année prochaine au groupe Vauban, et vous assurons de notre meilleur souvenir.

PS :Vous avez demandé à Luc de vous écrire pendant les vacances, vous êtes très gentil de proposer ce stimulant…

Il s’agit d’un extrait, vous l’avez deviné.

Notre métier dont la mission est d’instruire les enfants, de les conduire à penser par soi-même, leur donner accès à la liberté, est sans doute le plus beau métier du monde.
Rien ne touche plus et n’encourage à poursuivre dans cette voie que le mot d’une maman qui décoche ses flèches amicales et de douce flanelle vers l’esprit et le cœur d’un enseignant.

Sur la photo, Luc, un des plus jeunes de la classe, est désigné par une flèche.

Toujours entouré…
Champions de Versailles dans notre catégorie, cette année là.

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