Evasion.

La mémoire est redoutable. Quelques décennies plus tard, elle vous renvoie dans le passé sans prévenir. Elle vous serine des choses, en faisant mine de vous remémorer des images anciennes alors qu’elle vous taquine : « Coucou ! Tu es encore là ? »

Oui, je suis encore là et je me souviens de ton image. J’avais treize ou quatorze ans, j’étais malade, cloué au lit depuis un moment. C’était un jour de fin d’avril au fond de la Navaggia, au lieu-dit Ambruginu. Le ciel affichait son plus beau bleu céruléen. Pas un nuage au-dessus du Pinettu. On avait ouvert ma fenêtre en grand pour que je profite du paysage, de l’air pur et des prémices caressantes d’un printemps déjà bien engagé. J’avais l’impression d’une renaissance malgré mon état encore fragile. Je sentais le vent léger sur mon visage comme s’il venait me saluer puis m’encourager : « Allez bouge-toi, c’est reviviscence ! » Tout n’était que délicatesse. L’air encore frisquet qui s’aventurait jusqu’à mon lit tempérait celui ambiant chargé d’inquiétude. Il n’en fallut pas plus pour que je retrouve mon sourire et que renaisse l’espoir. Les rideaux en dentelle légère qui floutaient les vitres pour la forme,  alors qu’il n’y avait rien à occulter puisque la pinède était seul vis à vis, ondulaient en souplesse, mollesse, et cette flanelle au vent accompagnait la fraîcheur jusqu’à moi. Un rien, un presque rien, juste une fenêtre ouverte et l’envie renaît. C’était suffisant pour que le sourire revienne aux lèvres et l’espoir reprenne sa place. J’étais affaibli, pâle j’imagine sans me voir, et triste comme si le dernier moment était venu me cueillir dans ma chambre, doucement en prenant son temps. En cette fin d’avril, après des attentes plutôt réservées, noyées de pessimisme, le printemps venait me tirer vers la vie.

Aujourd’hui, comme souvent, c’était sieste dans mon coin estival. Je change de chambre l’été pour me donner l’illusion d’être en vacances. Un petit coin bas, pas très confortable mais donnant l’impression d’une vie de vagabond qui s’endort à la belle étoile. Le soir, la voute céleste me présente tous ses astres lumineux. Parfois, la lune trop pleine éclaire mon visage pour que je gamberge davantage et m’élève dans les galaxies dont je rêve souvent. J’avais sommeil mais je n’ai pu fermer l’œil. La vision de ce ciel céruléen à travers des barreaux m’a catapulté de nombreuses années en arrière. Le temps s’était contracté, l’hier et l’aujourd’hui se confondaient dans ma tête. J’avais treize ans, je conversais avec l’azur sans aucun nuage. J’ai vu le Pinettu identique à l’antique. Rien n’a changé fors moi, vieilli.

Le temps est fou, il promène celui qui l’écoute. Il interpelle celui qui intègre la notion de temps et sourit lorsqu’on lui souffle : « Je sais que tu passes, je te suis, j’ignore où tu m’emmènes et je n’y peux rien. Je m’embarque avec toi, filant je ne sais où mais profitant de tous les paysages que tu visites à travers ans. C’est toi qui commandes, je suis embarqué sans aucun regret, aucune crainte, je sais que tu conduis en taisant où tu me mènes. »

Tu connais mon épitaphe : « Je suis venu, j’ai vu et je n’ai rien compris mais dieu que j’aimerais refaire un tour… » Refaire un tour, pas pour comprendre mais  jouer encore une fois. Tu rigoles ? Je suis prêt pour une autre virée.

Hélas, les manèges tournent, c’est carrousel, ça va et ça revient, toi tu files droit sans jeter un regard en arrière.

Quel imbécile ! Tu fais mine de savoir puis tu perds la mémoire…

Et toujours le même décor.

U pinettu (la pinède)
(Cliquez sur les photos)

A Tasciana.

 

Cagna à l’horizon.

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  1. « Je suis venu, j’ai vu et je n’ai rien compris mais dieu que j’aimerais refaire un tour… » Refaire un tour, pas pour comprendre mais  jouer encore une fois. Tu rigoles ? Je suis prêt pour une autre virée.

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