Voyage dans le temps.

Aujourd’hui j’ai fait un détour par le passé, je « rendais visite » à mes amis disparus.

Joséphine était là, elle n’a pas changé, je revoyais son sourire complice, sa joie de me voir arriver comme naguère lorsqu’elle m’invitait à sa table, en toute discrétion. La joie communicative d’une personne qui vous veut du bien.


Il y avait Pierrette encore surprise de voir son mari se lever d’une sieste parce que je débarquais chez eux, elle m’a voué une grande amitié jusqu’à son dernier moment.
Et puis Malo et Toussaint, nous formions une triplette unie, un trio soudé qui a duré jusqu’à leur dernier souffle, sans jamais faillir.
Nos relations étaient différentes pourtant. Toussaint m’avait convaincu, quasiment forcé à fréquenter l’université, il croyait beaucoup en moi. Il avait pressenti un potentiel qu’il ne fallait pas gâcher et m’a presque embarqué de force dans ses valises. Il a veillé sur moi, sa mère Joséphine a suivi, se montrant tout aussi protectrice.
Malo m’avait chopé au passage lorsque Toussaint me faisait faire le tour de ses amis lors de soirées mémorables. J’étais l’histrion de service, je ne savais faire que ça, raconter des histoires rigolotes. Inépuisable, capable de tenir jusqu’au matin. J’avais acquis un tel degré dans le métier que j’inventais des anecdotes, aussi vraies que les vraies, pour étoffer mon stock de sketches…

Nous avons toujours été là, l’un pour l’autre, les uns pour les autres. Pas une ombre, pas une trahison, toujours droits devant, chargés de souvenirs heureux que je suis seul à détenir aujourd’hui. Je les garde pour nous tous et ne s’éteindront qu’au moment où mon heure sonnera…
Après… après… C’était notre histoire et tout s’arrêtera là.

Devant la tombe de Toussaint, la plaque que j’avais déposée trônait modestement :
« Un crêpe noir à la gabardine ».
Personne ne comprendra s’il n’a lu le texte qui relate notre première rencontre. Je rencontrais mon futur ami pour la première fois en me présentant à lui en gabardine. Je me rendais au lycée de Sartène pour un poste de pion, Toussaint éclata de rire en me voyant arriver en gabardine, qu’on m’avait prêtée pour la circonstance et qui trainait par terre… Il a beaucoup ri lorsque je l’ai enlevée et qu’il me découvrit en costume qu’un autre villageois m’avait également confié… Il a beaucoup ri chaque fois que nous étions ensemble, il était fier de moi parce que je le faisais rire.

Un jour, à la fin de sa vie, il m’a convié à faire le tour des bars pour me présenter, non pour boire, comme s’il voulait se débarrasser d’un poids. Il pleurait en disant aux villageois présents :
– Vous voyez, c’est mon ami. Lorsque nous étions jeunes, j’étais fou, je l’envoyais vendre des savonnettes dans les rues de Nice…

Il faisait mon éloge mais s’était trompé sur le terme « vendre ».
Je n’ai jamais rien vendu, j’en suis incapable, c’est même une infirmité pour moi.
Je suis rentré avec mes savonnettes, complètement défait, au bord des larmes, vaincu par un exercice au-dessus de mes moyens. C’est lui qui a tout vendu à ma place. Aux parents, aux voisins, aux cousins des cousins… bref, en une matinée tout était bouclé, il me remettait la somme pour que je continue à survivre.

Aujourd’hui, je me suis incliné devant eux, j’ai essayé de sourire…
J’ai baissé la tête, quelques larmes ont coulé sur mes joues, je les ai laissées filer.
J’étais envahi par l’émotion, aujourd’hui, j’ai revu mes amis.

Juste derrière moi, les vaches, pudiques, se sont couchées et ont détourné le regard.
Elles m’ont regardé partir sans lâcher le moindre beuglement…

6 Comments

    1. Longue journée de vadrouille, parti tôt le matin, rentré tard, en fin d’après-midi.
      Articles conçus à la va vite…

      Bonsoir Al 🙂

  1. Simonu , cet article est touchant , j’ai lu la garbardine , je sais qu’au plus profond de vous , cette amitié coule dans vos veines .
    respect à tous , qu’ils reposent en paix , et respect à vous de les mettre à l’honneur par l’amour que vous leur portez .amiccizia .🥲

Répondre à Passa saccu Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *