Curcia Funtanedda.

C’était le printemps, j’étais retourné à Funtanedda comme en pèlerinage.
Nous vivions à une centaine de mètres de la source de mon enfance, en contrebas de notre demeure.

Tous, bisaïeux, aïeux, père et mère se sont abreuvés à cette eau fraîche sortie des entrailles de la terre pour filer vers l’amont du Fiumiccicoli tout proche. Une eau fraîche, vive et pimpante, gazouillait, chantonnait des airs joyeux, ravie de rencontrer la vie tout au long de son passage. Flore, petite faune et humains vivaient là en parfaite harmonie.

Le chemin de mon enfance retracé à l’engin mécanique, cela se devinait aux traces de chenilles, effondré par endroits, n’avait plus la même allure.
Jadis entretenu à la faucille et « a rustaghja » (serpe au long manche pour attaquer les ronces), tracé par les pas innombrables de la fréquentation journalière, mon petit chemin était méconnaissable. Sans son charme d’antan, il était passage sans âme, ouvert pour les randonneurs estivaux.
Il avait perdu son histoire.

Sur les côtés, une forêt de broussailles où les ronces, la vipérine, les coquelicots, la vesce craque et tous leurs compagnons sauvages avaient élu domicile. Le sureau se frayait un passage timide au milieu de ce boucan visuel très fleuri. Il tendait de fragiles inflorescences, des ombelles crème légère, corymbes presque blancs, ciselés comme des dentelles de fin coton. Très abondant à cet endroit lorsque nous étions enfants, « u sambucu » préparait en secret ses boules noires et ses tiges au cœur tendre d’amadou qui nous servaient de sarbacanes lorsque nous les vidions de leur moelle.
Toutes ces plantes chantaient encore la vie amazonienne, luxuriante, inextricable.
Un vrai paradis pour les chasseurs de macrophotographies qui oseraient s’aventurer jusque là.

Tout l’espace regorgeait d’insectes multiples et variés à affoler le plus averti des entomologistes. Une petite faune en regain de vitalité dans une flore surpeuplée, offrait ses plus belles parures de saison. Un endroit magique pour un peintre impressionniste à court d’inspiration. La palette était riche et joyeuse, à admirer de loin car inapprochable sans la faucille et la serpette. Seul, un chemin venant de nulle part était encore praticable et débouchait quelques dizaines de mètres plus haut sur la route de Carbini.

Aux alentours de la fontaine, une masse ombrageuse lugubre dominait. Une voute sinistre dégageait une atmosphère glauque. L’eau vive qui circulait naguère dans le ru, voyageait péniblement transportant mollement de vilaines choses. Une eau presque morte, baveuse par endroits, circulait difficilement entre des détritus accumulés contre une branche morte qui faisait office de barrage.
Là devant moi, Funtanedda était sans vie. Momifiée, la bouche ouverte, la gorge sèche, l’âme envolée.
J’étais planté devant l’inerte gargouille, je levais les yeux en direction de la maison familiale, perdue derrière une petite jungle, abandonnée aussi. Le temps s’était enfui laissant derrière lui des fantômes perdus, errants dans mon imaginaire.
La voie déserte serpente encore vers la source de nos plus beaux jours d’insouciance.
Un endroit perdu à jamais.
Comment imaginer, qu’un jour, la vie se remette à palpiter par ici ?

Les papillons, indifférents à mes états d’âme, survolaient les broussailles dessinant leurs arabesques folles, chaotiques, imprévisibles, boudant une fleur largement offerte à leur suçoir, pour ficher leur siphon au cœur d’une fleurette presque invisible. Sans doute, leur envoyait-elle des effluves plus sauvages.
Les inflorescences de menthe, comme au temps où nous étions petits, semblaient attirer plus d’adonis bleus que nous connaissions sous le nom synonyme d’argus céleste.
Un contraste saisissant s’imposait à moi, entre la beauté sauvage du paysage et la tristesse que suggérait la fin d’une histoire.
Tout un pan de ma vie gisait sous mes yeux, indifférent, sans le moindre sentiment à l’égard du revenant que j’étais.
Je suis passé sur le chemin de mon enfance, ultime passant de ma famille à flâner encore là, derrière les dernières maisons du quartier.

Funtanedda a rendu l’âme et ne s’en remettra pas.
Qui donc se souviendra du gargouillis qui enchantait naguère toute la Navaggia ?
Tinta ! La pauvre !
Curcia Funtanedda ! Pauvre petite fontaine !

Vipérine
Argus bleu ou céleste
Le chemin de randonnée
Maisons masquées par les broussailles.

6 Comments

  1. Quel beau texte, Simonu, je suis partagée entre la tristesse et le charme de votre évocation…

  2. Les larmes montent…
    Je ne suis pas d ici… Mais ca vient toucher éveiller quelque chose d universel… Un tronc commun… Je la connais malgré tout bien cette fontaine….
    Je fais le souhait que ces travaux sachent conserver l âme d antan, voir les sublimer pourquoi pas… ces endroits si précieux…
    Merci pour votre témoignage si bien écrit 🙏✨

    1. Bonjour Mélanie.
      Les travaux, hélas, ne visent pas les mêmes intentions, ils ouvrent des passages pour les randonneurs qui ne se rendent pas à la fontaine.
      Pour nous, naguère, c’était lieu de rencontre, surtout l’été aux alentours de midi, nous y faisions parfois la queue pour remplir nos cruches.
      Le moment était joyeux, attendu et renforçait nos liens de navaggiais.
      C’était un autre temps, aujourd’hui révolu, il faut se rendre à l’évidence mais rien n’interdit l’évocation nostalgique et joyeuse à la fois.
      Je vous remercie pour votre passage dans mon univers qui flotte encore dans mon esprit, un passé qui n’en finit pas de réjouir mon présent. 🙂

  3. Caru Simonu.
    Cher Simon. Chaque été et début d’automne, je prends le « raccourci » de Funtanedda toujours arborescent, mais la source est désormais tarie. C’est vrai. L’eau pure et fraiche de nos enfances et adolescences (cinq ou six décennies plus tôt) avait tout d’abord perdu sa potabilité (!) tandis que la configuration des lieux s’était elle aussi modifiée… Au fil des ans, des décennies. Tout change. Mais il reste, je crois, quelque chose d’essentiel. La Mémoire des Lieux ?
    Quelques centaines de mètres plus haut, relativement proches, nos maisons natales, dans le Pogghjiu Navaggia. Nous aimons y revenir avec un pincement au cœur. La Maison de tes parents et, 70 mètres plus loin, la Maison de mes parents nous racontent elles aussi l’Histoire du quartier, dans leurs vieilles pierres… Comme toi, Simon, qui sait nous émouvoir, quand tu nous conte la Mémoire des lieux et ses mille souvenirs. Merci.

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