Le temps à l’envers.

DSC_0017Le propre du temps c’est la fuite, construire les faits qui resteront définitivement gravés sans jamais être retouchés.

Alors, la mémoire joue son rôle de visiteur. Elle fouille le passé à la demande et au gré de nos envies.

Je me retrouve dans ma jeunesse pour revivre les moments magiques que j’ai aimés, revivre une énième fois un plaisir pour un autre frisson. J’adore me remémorer le passage décrit dans « Ballade en novembre après minuit ». Je n’ai pas relu le texte, je me souviens seulement du passage devant la grille du cimetière après l’extinction des lumières pour que le frisson soit plus fort encore. Seul face à la mort matérialisée par les tombes toutes proches, la nuit noire et la lune qui clignote au gré des nuages courant dans le ciel et caressant les sépultures au passage. Le temps sec inhabituel,  le bruit du vent dans les chênes et les châtaigniers tout proches puis le frottement des feuilles sur l’asphalte, promenées, ballotées par le souffle d’Eole. Un moment de solitude absolue, de confrontation avec la mort, une peur fabriquée de toutes pièces pour exacerber les émotions. J’avais dix-sept ans et j’adorais me baigner dans des atmosphères très fortes. Personne ne savait rien, tout le monde ignorait ce bouillonnement qui m’animait, on me prenait pour un modèle d’enfant puis d’adolescent. J’ai beaucoup intériorisé et beaucoup fréquenté la vie, prise par tous les bouts pour en ressentir le maximum de son expression.

J’avais dix-sept ans et je me souviens comme si c’était hier, avec le même plaisir, la même peur et les mêmes craintes comme si j’avais réussi à dompter ou figer le temps. Devant la grille du cimetière, mâchoires crispées, yeux fermés pour mieux imaginer, oreilles grandes ouvertes à tous les bruits, à tous les cris jusqu’à faire redresser les poils de tout mon corps, à ne plus en pouvoir de résister et exploser dans un sprint mémorable pour me retrouver quelques minutes plus tard, bien au chaud, au fond de mon lit et revivre ma peur dans le plus grand des conforts d’un cocon. Tout était voulu, fabriqué, maîtrisé…

Quinze années plus tard, deux jours avant de repartir sur le continent à la fin des vacances, je me suis retrouvé après minuit et jusqu’à trois heures du matin, assis sur la tombe de mon père. Je n’étais pas seul, ma femme était avec moi, il lui a fallu beaucoup de courage. J’ai beaucoup parlé de lui, j’imaginais qu’il m’entendait. Je sentais sa présence parce que je la souhaitais tout simplement. Je suis loin d’être un mystique, plutôt du genre rationnel, c’est pourquoi, je préfère me fabriquer les situations à ma convenance entre moi et moi, au goût de mes envies.

Je me suis découvert épicurien, hédoniste très souvent, un amateur très fervent du carpe diem. J’en ai connu des sensations, vécu des situations fortes, espéré des explosions. Je suis encore là à toujours creuser mes plaisirs tant que je peux.

J’avais écrit, un jour : « Celui qui a intégré la notion de temps, se passe de l’idée de Dieu et ne se préoccupe plus du sens de la vie ». Comprendre le temps, c’est reconnaître que nous n’avons pas le temps. Le temps de rien et pas le temps de dévoiler les grands mystères de la vie. Alors, je voyage avec lui, puis m’arrête pour le laisser filer seul, repasser le film à l’envers et me rouler inlassablement dans le passé comme le fait le merle sur la photo. Je suis ce merle, terrestre, aérien et qui se prend, soudain, de folies aquatiques…

Je suis venu vous dire que je passe, que je repasse mais que jamais, je ne recule. Je vis présent et passé à ma guise… et puis un jour vous lirez sur ma pierre tombale : « Je suis venu, j’ai vu et je n’ai rien compris ».

Je vous reparlerai, sans doute, de mon épitaphe car elle ne vaut que pour mon après vie. En attendant, je crois que j’ai compris un petit quelque chose.    

4 Comments

  1. .Bonjour Simon , si vous l ‘acceptez , je me « raconte  » – un extrait de mon futur livre,mais qui correspond , il me semble au sentiment que vous exprimez .Oui , nous transportons nos lieux …..

    « Je m’enclavais sous l‘écorce, je ré­veillais l’incandescence, j’inhalais l‘odeur du haîc que j’avais replié, caché en des lieux fronta­liers.
    Dans ce climat purifié de zone interdite…….. , j’inhalais l‘odeur…….

    1. Cet espace est un champ de liberté, Luce, pour ceux qui souhaitent s’exprimer sans « tabasser » l’autre. Vous savez que vous avez toute la place pour votre écriture dense, puissante, si riche et pleine des choses de la vie. Je vous remercie pour votre passage parmi ces mots qui ensemencent mes textes. Et si vous revenez, entrez sans frapper. Et bonne soirée…

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