Vous saviez ?

J’étais en grande discussion avec un ami. Oh ! Pas très originale, des banalités, nous revisitions le monde en prenant soin de ne pas trop le refaire.
Nous constations seulement, à travers des faits d’ici et d’ailleurs.

C’était un peu « Dis-moi ton regard et je te dirai qui tu es ». La magie s’opère toujours dans le regard.

Il existe mille manières d’apprécier une barrière rouillée laissée à l’abandon depuis des décennies.
Que sais-je ? Oui, que sais-je de son histoire ? 
Je regarde, par de-là la clôture dérisoire, le jardin en friches, les arbres fruitiers emprisonnés par les ronciers qui ont déployé leurs tiges barbelées, armées d’épines vives pour empêcher toute approche. La clématite vitalba (vitarbula dans notre région) a propagé ses lianes comme une araignée tire ses fils pour tisser sa toile. Elle prend appui, s’accroche, volubile s’élève, égoïste s’épanouit en étouffant ses supports. La nature sauvage reconquiert son territoire perdu en envahissant les terres apprivoisées, effaçant inexorablement toute trace humaine.

Cet ancien jardin a une histoire que je ne connais pas. Je ne juge pas, je laisse libre cours à mon imagination et visite un passé inventé. Je revois, ces hommes et ces femmes qui dépendaient du potager, loin de s’imaginer, un jour courir les supermarchés. Un jour, admiratifs d’une abondance frelatée. Ces pommes, ces poires, ces pêches à la peau éclatante qui respire la santé mais vides de substance nourricière, remplies d’eau mensongère laissant croire réserve de vitamines. Un pouvoir nutritif appauvri alors que leurs fruits biscornus de naguère, attaqués par le carpocapse ou la tavelure avaient encore le parfum et la saveur d’un fruit né en liberté sur un arbre protégé.
Les poireaux, les carottes et Cie, simulant plus que respirant la bonne santé, trônent en trompe l’œil sans jamais flatter les papilles. Les tomates rutilantes jouent les divas au cageot puis livrent leur platitude à table avant de finir à la poubelle.
Mille fois trompés et mille fois pris la main à tâter encore et encore, à tâter des copies sans odeur et sans saveur… Incorrigibles et buttés.

Un jour, vaincu par les ans, on se sent battu. Le chemin de terre n’est plus qu’un bourbier, une savonnette par temps pluvieux. Plus personne. On ne trouve personne pour vous livrer une camionnette de tuf pour sécuriser le passage. Vous jetez un regard triste sur ce que vous fûtes hier encore, complètement démuni aujourd’hui. Désarmé, inutile et perdu.

Vous savez, il ne faut plus s’étonner si ceux qui ont aimé par-dessus tout leur coin de village se résolvent à partir, la mort dans l’âme. Les temps ont changé, il faut tourner la page, notre histoire n’a guère d’importance, on sera vite oublié.

Vous savez, je ne suis qu’une tomate de nos jardins, je garde le sourire avenant visible de loin mais mon for intérieur est rempli de tristesse… On vous flatte l’épaule un instant puis… il faut bien que le temps file, il y a d’autres chats à fouetter. Malgré ma tristesse, je garde mon regard bienveillant, la vie n’est pas tarie, je sais que j’y puiserai d’autres richesses car j’ai encore beaucoup d’envies, plein d’envies de vie…

Vous saviez qu’il en est souvent ainsi ?

Le petit plus dérisoire.

2 Comments

  1. Encore un très beau billet..
    Je suis persuadée que les gens reviendront à la terre, au jardin. Pour l’instant on est encore attirés par le vite et mal fait des supermarchés comme des papillons par la lumière, mais petit à petit on voit des jeunes, des familles qui reviennent à la campagne… et au jardin 🙂

    1. Quelqu’un me disait « Faut pas rêver » !
      Rêvons, c’est possible dans l’esprit des cycles. J’ai connu cela en observant les enseignants.
      Le balancier de la directivité à la non directivité et puis le retour.
      Avec le temps ceux qui étaient à bout de balance avaient l’impression de découvrir l’autre bout, à l’opposé.
      Bonne soirée Al.

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