Passer son temps à perdre son temps.

C’est la maladie des temps modernes. L’information afflue à grande vitesse déjà plus ou moins prédigérée, et chacun en fait ce qu’il veut avec la plus grande certitude.

Tout se sait, tout se résout partout parce que tout est discutable et discuté.

Lorsque les menuisiers étaient dans les menuiseries, les forgerons dans les forges, les fermiers à la ferme et les agriculteurs dans les champs, les bars refaisaient le monde autour d’un verre de vin ou de pastis avec de maigres informations et des éclats qui ne dépassaient pas le virage le plus proche. Aujourd’hui, la moindre contestation est mondialisée. Qui n’a son avis sur la Syrie, sur le nucléaire, la médecine et même les planètes les plus éloignées ?

Inventez une charte de la laïcité à placarder et développer dans les écoles et voilà que les religions se sentent visées. Augmentez les impôts et voilà que la lucidité hollandienne est remise en cause. Composez une équipe de France de football et voilà que Didier Deschamps ne connait plus son métier…

Et que dire de toutes ces questions posées au quidam qui passe son temps à y répondre sans se rendre compte de la vacuité de la chose ? Pensez-vous que la France va gagner ce soir contre la Biélorussie ? Belle jambe ! Et toute réponse, même celle qui aura raison ce soir, n’est que parole en l’air. On n’a même plus la patience d’attendre l’évènement qui se produira dans quelques heures. On veut savoir ce que vous pensez, on veut savoir votre analyse à priori, on veut que l’insensé ait du sens.

Penser par soi-même, la belle affaire ! « Je pense donc je suis », Descartes doit bien rigoler si l’on rigole encore dans l’au-delà. Penser pour être ou pour paraître ? Là est la question. L’unité de la société n’est plus une synthèse mais une somme de pensants qui n’ont plus trop le temps de penser ce qu’ils disent. Ça va trop vite, la digestion ne se fait plus. La réflexion non plus, le recul non plus, la circonspection foutue. Je dis parce que je sais et je sais ce que je dis. On a perdu la balance, « le pour et le contre » pesé, n’existe plus. Il faut répondre vite car un peu plus tard, on aura à répondre à autre chose, on a besoin de connaître mon avis.

La démocratie atteint là ses limites. Un magma d’avis. On s’enlise dans le mou de la pensée, celle qui croit flotter pour la gloire et ne fait qu’enfumer rendant la vision plus brumeuse encore.

Ce soir, nous serons devant les infos, il y en aura pour toutes les tendances. Demain, nous serons devant le quotidien régional ou national, celui de notre couleur préférée. Nous donnerons notre avis sur tous les maux de la planète, nous trouverons le remède qui remontera le pays vers le renouveau. Demain, nous oublierons de cultiver notre jardin, de bien nous occuper de nos oignons…

Demain comme hier, nous jouerons à perdre notre temps et peut-être l’avez-vous perdu, aussi, en lisant ces quelques lignes. A vous de le penser avant de le dire !

3 Comments

  1. En effet, le temps, l’urgence, la complexité et l’universalité des maux de la planète rendent l’avis individuel suspect d’imprécision et d’inconséquence. En effet aussi, s’il se limite à l’auditoire du bistrot du coin, son humble vanité ne cassera pas trop d’oreilles.
    Effectivement certains médias en quête d’audience et de productivité trouvent leur compte à donner la parole au quidam du square d’en face sur tous les sujets. Indépendamment de la qualité du personnage et pour les raisons ci dessus, son avis reste son avis, éclairé par sa propre lanterne qui vaut ce qu’elle vaut.
    Le média y trouve un coût quasi nul, n’ayant pas à faire son métier d’enquêteur. Il y trouve de quoi flatter sa cible commerciale en faisant mine de donner valeur à son « opinion ».
    Voilà pour le chemin accompli avec vous Simon. Voilà pour le doute nécessaire.

    Pourtant dire son plaisir, son déplaisir, son accord, son désaccord, ses certitudes, ses interrogations me semblent le sel nécessaires à la digestion que j’appelle avec vous de mes vœux. Car la réflexion, repose aussi sur l’affectif, l’irrationnel, l’information partielle. Certains mêmes pensent que la quête de la raison est aussi le cache sexe de motivations plus terre à terre.
    On l’aura compris, je n’ai pas perdu mon temps dans cet échange.
    A vous relire donc.

    P.s. : J’ai retrouvé un papier que j’avais rédigé sur le thème proche du partage de l’expérience : « Dis ce que tu sais – Ils trieront » sous http://goo.gl/lO8gq.

    Vous d’y discernerez assurément la part immense d’affectivité d’alors de celui qui, cessant son activité professionnelle, perdait de facto l’aura du professionnel reconnu et entendu pour passer avec angoisse du côté du vulgum pecus ratiocinant.

    1. Bonjour Gaëtan.
      Merci et gloire à vous d’être encore là après 660 textes tous azimuts qui promènent le lecteur à sauts et à gambades. Aucun signe de fatigue et pour cela, encore merci. Vous savez, Gaëtan, que j’ai couru les champs et les labours avec la conviction et l’espoir à l’âme puis j’ai pris la clé du maquis. Souvent dans cette végétation, on regarde sans être vu, c’est mon côté solitaire et je suis triste aussi, comme le disait Marlène, que Lemonde.fr ait coupé le sifflet aux chroniqueurs. Nous pouvions échanger avec un minimum de réflexion. Il nous reste Facebook, ce distributeur d’idées toutes faites souvent tordues bien plus qu’un agitateur de pensées. Sans l’échange de photos, je l’aurais quitté déjà.
      J’ai bien compris ce que vous dites, je l’ai pensé et le pense encore mais qu’il est difficile de remettre à la raison celui qui vous brandit un faisceau de preuves et de certitudes qui n’en sont pas, ou qui est incapable de recul avant « d’avancer » ses arguments. Il a le droit de vivre même dans le faux… je préfère m’en aller avec le temps. Me rouler dans les heures, les minutes et les secondes pour n’en perdre aucune… bientôt, il sera trop tard et je m’envolerai dans l’oubli. Mes proches me connaissent, encore quelques miettes, oui, je m’envole… Je n’ai plus le temps, avons-nous eu le temps, un jour ?
      Bonne journée Gaëtan.

  2. Ok Simon. Merci cependant de continuer à éclairer périodiquement nos heures, minutes et secondes de vos réflexions et images. Précisément parce que effectivement le temps nous est compté. A vous relire

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