Quand le langage devient leurre

Le sujet est récurrent. Il revient souvent sous des formes diverses et reste inépuisable car il touche à plusieurs domaines, l’ignorance même relative, les croyances, les superstitions et la simple attitude de prise superficielle de l’information. Il sera ici à peine effleuré.

On entend souvent dire « mais nous sommes au 21e siècle » comme si l’avancée du temps s’accompagnait forcément d’une avancée de la pensée commune.

Bon nombre d’entre nous se leurre de ses propres mots, souvent par manque de recul et d’analyse des événements, par méconnaissance du vocabulaire qu’il emploie. Les mots sont utilisés à tort et à travers de sorte que l’information que l’on cherche à véhiculer s’en trouve déformée ou totalement erronée. L’exemple le plus frappant est celui du mot « morbide » qui signifie avoir un caractère maladif, avoir un rapport à la maladie. Trop souvent et même dans la bouche de personnes censées être « autorisées », morbide se substitue à mortifère car la première syllabe sonne comme la mort. La morbidité ne signifie nullement rapport à la mort. Comme corsé n’a rien à voir avec la Corse, l’impression prend le pas sur la réalité. On se contente de choper au passage ce que l’on croit être une amorce de sens, puis  on s’embarque allègrement sur la voie du fourvoiement ou du quiproquo.

Cette tendance se retrouve dans les analyses, plutôt pseudo analyses, en usant, par exemple, d’arguments d’autorité en introduisant l’annonce par « un médecin m’a dit… » Notre avis, ainsi amorcé, on peut défiler tout le reste le plus simplement du monde, sans être contredit. L’interlocuteur abusé, anesthésié prend tout ce qui suit pour argent comptant.

Un autre comportement consiste à faire coïncider des événements qui n’ont aucun rapport entre eux ou établir une « cause à effet » entre deux actions qui n’ont rien à voir l’une avec l’autre. Par exemple, poser une coquille d’œuf sur une fenêtre pour faire cesser un orage. Tout orage cesse toujours, la coquille devient la cause alors qu’il n’existe aucun lien avec ces actions parallèles qui ne sont aucunement destinées à se rencontrer. Il suffit de le penser et le dire.

Lorsque la croyance s’en mêle, il est très facile de se défaire de toute vérification ou analyse, la cause devenue divine interdit toute autre source de causalité. Il est arrivé, sur un match de tennis, de voir les deux concurrents se signer de la même manière pour solliciter une aide divine sans jamais s’interroger : pourquoi  une divinité commune avantagerait plutôt l’un que l’autre ? En d’autres termes, ça s’appelle « chercher à se faire pistonner » par une puissance censée rester irréprochable. D’autres parlent de maraboutage. Certes cela aide à se motiver davantage mais l’intervention divine reste hautement improbable, ce serait un comble si un Dieu se mettait à faire du favoritisme.

En agriculture rurale, l’empirisme* a joué un rôle important pour trouver le meilleur rendement. Aujourd’hui les analyses du sol et les connaissances des besoins nutritionnels pour chaque plante suffisent  pour mettre,  en un temps plus court, sol et plante en adéquation.
Les Saints de Glace sont régulièrement cités comme référence absolue dont il faut tenir compte. Ces jours de froid au mois de mai se produisent en fonction de la position de l’anticyclone des Açores. C’est lui le responsable et non les Saints qui ont pris le pas sur la réalité alors qu’ils ne sont que points de repère. Des points de repère qui mettent en garde contre un possible refroidissement dont ils ne sont nullement responsables. On ne retrouve pas l’équivalent sous toutes les latitudes et à la même date.
On observe le même raccourci avec « lune descendante et montante» pour les plantations à production souterraine ou aérienne. La lune descendante et la lune montante existent aussi hors saison printanière… Les adeptes de cet impératif affirment qu’il suffit d’essayer pour voir. En réalité, aucune étude bien menée et sérieuse n’a encore validé la remarque avec des explications qui se tiennent et montrent le rapport avec la lune, là aussi, simple point de repère qui ne joue pas forcément de rôle direct. La raison est probablement ailleurs lorsqu’une constante est révélée.

Il en va de même pour véhiculer une information, souvent déjà prise en troisième ou quatrième lecture, rapportée comme elle a été interprétée puis déformée sans aucun souci de fidélité. Il suffit d’entendre parler des parents qui racontent, comme s’ils avaient été présents, le comportement génial de leur enfant en classe avec force détails… rapportés aussi.

Je crois que depuis Gaston Bachelard on n’a pas fait mieux pour décrire l’esprit scientifique. Je le re-cite pour la énième fois : L’esprit scientifique doit se former contre ce qui est en nous et hors de nous l’impulsion et l’instruction de la nature.

Ce philosophe des sciences affirme que l’esprit scientifique n’est pas donné à tout le monde et ordonne une double lutte. « En nous… l’impulsion de la nature », notre anthropomorphisme, voir et comprendre les choses à travers le filtre des sentiments humains et les impressions déformantes, « hors de nous…l’instruction de la nature » c’est-à-dire le spectacle qu’elle nous offre, ce que l’on voit et qui peut être source d’erreurs. Il n’y a de science que du caché : lorsqu’on voit un clou qui rouille, une bougie qui brûle et un corps qui respire, nous sommes face à trois spectacles différents qui répondent pourtant à la même loi de l’oxydation, lente pour la rouille plus rapide pour la bougie….  

A la lumière de cet aphorisme qui résume bien la difficulté d’approcher l’objectivité, on comprend mieux pourquoi on se nourrit bien plus souvent d’approximations.

Alors, heureux, ceux qui se vautrent dans l’erreur parce qu’ils ne savent pas et, à plaindre, ceux qui savent et se battent contre des moulins à vent.

Et même si l’on s’avise de faire tourner sa langue sept fois dans sa bouche avant de parler, il n’est pas certain qu’on la fasse tourner dans le bon sens.

*Empirisme : expérience de terrain qui se fonde sur l’observation portée sur de nombreuses années. L’étude scientifique rationnelle réduit le temps de compréhension des mécanismes en faisant des analyses directes…

*Dessin : La chouette effraie a, longtemps, été le symbole de l’hérésie. La « dame blanche » avait mauvaise réputation, on la clouait sur les portes des granges qu’elle fréquentait pour protéger des orages, chasser la maladie, conjurer le mauvais sort…. On entretenait l’obscurantisme.

1 Comment

  1. « Un jour, j’ai demandé à Dieu que ma maîtresse ne soit pas là et Il m’a écouté, elle était malade ce jour-là, confie Léonard. J’ai voulu vérifier si Dieu existait, maintenant j’en suis sûr. »
    Voilà le genre de rapport de cause à effet qui est très courant même sans toujours passer par l’idée de Dieu. Cette citation est extraite d’un article du monde évoquant les enfants de parents athées qui se convertissent au catholicisme.
    Je n’entrerai pas dans les détails de souffrance psychologique imposée par le carcan familial qui entraîne ce genre de comportement, ça aide à en sortir et c’est le plus important… Quant au rapport entre souhait et factuel, il n’y a qu’un pas que je ne franchirai pas…

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